Dès notre arrivée, nous sommes nous aussi, au même titre que l’ensemble de la population nippone, obnubilés par cette question : quand est-ce que les sakura, les cerisiers, vont fleurir ? C’est une véritable institution, ici ! Ce moment tant attendu sur tout l’archipel donne lieu à des pronostics consultables en ligne. A notre arrivée, nous apercevons quelques pétales émergeant timidement des bourgeons noirs et serrés. Dans le parc de Ueno, je scrute les bourgeons un à un et une japonaise, à côté de moi, fait pareil, et me confie, très sérieuse et convaincue, en hochant la tête « tomorrow, tomorrow ! ». Pendant toute la durée de notre voyage, nous suivrons de très près l’évolution de la floraison qui éclatera vraiment au moment de notre départ.
Dans les parcs publics, on prend la chose très au sérieux, et on prépare le terrain, car, véritable sport national, le hanami ou contemplation des cerisiers en fleurs est une tradition vénérable et incontournable. Tout est très organisé et contrôlé. Des centaines de poubelles géantes sont disposées partout dans les allées pour récolter les déchets de milliers de personnes qui viennent admirer le spectacle et surtout picoler leur fiole de saké sous les branches croulant de fleurs. Pour que tout se passe dans le calme et l’optimisation maximale, des espaces sont délimités par des lignes blanches que l’on réserve pour un temps limité. Un vrai sport national, on vous dit !
Il faut dire que les cerisiers, lorsqu’ils fleurissent, évoquent en petits boutons printaniers le retour du beau temps. Les arbres se couvrent de blanc et illuminent le paysage en effaçant la grisaille ambiante. Les japonais ne s’y trompent pas, le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Mais en plus d’être une fête comparable à toutes les célébrations printanières dans le monde, une réjouissance partagée par tout le pays, le hanami laisse la part belle à un symbolisme fort. Les japonais y voient une allégorie touchante : les fleurs, fragiles et éphémères, ravissent par leur beauté éclatante qui irradie tout le paysage, pour un temps court et limité, quelques jours au plus. Mais en même temps, elles parlent d’éternel recommencement puisque infiniment, les fleurs reviendront, immuables, l’année prochaine, puis l’année suivante, puis encore celle d’après… Les sakura parlent de la beauté, du temps qui passe, de la brièveté de l’existence, mais aussi de la pérennité, de la répétition, du cycle de la vie. Ou comment évoquer une question hautement philosophique en toute légèreté !