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Carnet de voyage Nouvelle Calédonie: âme forte

par Anne
Nouvelle Calédonie

(du 27 novembre au 11 décembre 2015)

La Nouvelle Calédonie, c’est une terre qui impressionne, littéralement. Nous quittons la douceur de vivre polynésienne, et nous arrivons chez une guerrière ardente. Dès l’arrivée, elle annonce la couleur, rouge sang et flamboyants en feu. Le vert aussi, celui des pins colonnaires et des fougères arborescentes, est plus vif. Et le bleu, la mer et le ciel, unis en une seule couleur vibrante et acérée. Trois couleurs que l’on retrouve sur son drapeau, fortes et sans nuances.

Nous avons prévu un peu plus de 15 jours pour découvrir l’île, en pensant que nous serions « blasés » par les plages de Polynésie et que vu la proximité, nous allions atterrir sur une île similaire. Erreur, mes frères ! Il nous aurait fallu au moins une bonne semaine de plus pour profiter pleinement de toute sa diversité et apprivoiser d’autant plus cette belle âme forte.

Colonisation, répression, rédemption

D’où tient-elle cette rudesse de ton ? La colonisation y a sans doute fortement contribué. Tandis que les kanaks sont dépourvus de tout droit civique et parqués dans des réserves puisqu’on estime qu’ils ne disposent pas des capacités morales et intellectuelles substantielles pour être considérés comme des citoyens français, l’île est tout de suite pressentie comme une alternative à la colonie pénitentiaire de Guyane. De 1864 à 1897, elle accueille donc, en plus des colons « classiques », plus de 21000 colons pénaux, des bagnards, condamnés aux travaux forcés et à l’exil, et dont certains, à défaut de pouvoir retourner en métropole une fois leur peine purgée, peuvent prétendre se racheter une nouvelle vie avec un métier, une femme et un lopin de terre piqué aux indigènes. A tout point de vue, l’ambiance de l’époque ne doit pas être bien tendre entre tout ce petit monde.

Les kanaks, quant à eux, ne deviennent citoyens français qu’à partir de 1946. Pour les autochtones, le chemin de l’apaisement est ensuite long et laborieux. Les « événements » de 1985-1989 qui ouvrent la voie à l’indépendance, malheureusement par des bains de sang, remontent seulement à une vingtaine d’années, c’est-à-dire hier. Aujourd’hui, il est possible pour les mélanésiens de revendiquer leur appartenance à cette culture ancestrale et même de la faire revivre sans pour autant déclarer la guerre, semble t-il. L’âme kanake est présente dans l’air comme une bonne nouvelle, et se réapproprie les arts longtemps délaissés, sculpture, peinture, musique… Le centre culturel Jean-Marie Tjibaou est un incontournable pour l’appréhender. Longtemps reniée, elle est aujourd’hui très présente et peut-être même encore plus vivace, comme une revendication pacifiste du droit inaltérable à la terre de ses ancêtres.

Entre enfer et paradis

Sur le bout d’île que constitue la pointe sud, on entend le souffle du vent, et le murmure des éoliennes qui racontent mille vies. Terre rouge, végétation omniprésente et plages de sable noir et grossier. Dans la réserve provinciale de la rivière bleue, nous nous familiarisons avec une nouvelle faune et flore : pins colonnaires, kaoris, houps géants, fougères arborescentes, palmiers à échasse, notous au chant profond, cagous, l’oiseau emblématique de l’île, sans oublier araignées de belle facture. La baie de Prony, elle, reprend tranquillement ses droits sur les vestiges de l’histoire et avale les ruines du centre pénitentiaire dans les lacets immenses des racines des banians. Le coin des supplices laisse les enfants perplexes. A côté de Bourail, au fort Téremba, autre bagne très bien restauré, l’exposition présente de manière très exhaustive l’histoire des bagnards, déportés, transportés, relégués. A la fin du musée, il y a une photo de chaque employé du musée, accompagnée d’une brève généalogie. Chacun possède dans son histoire familiale un aïeul issu de la colonisation, pénitentiaire ou non, ou bien un parent kanak qui s’est insurgé contre l’oppression des colons et s’est retrouvé en prison. Je trouve que cela résume très bien l’histoire de l’île, complexe, violente et fortement imbriquée.

Tout cela, nous devons l’appréhender nous-mêmes et l’expliquer aux enfants. Tenter de raconter cette étrange colonisation dont toute l’île est encore si fortement imprégnée. De cette ambivalence, entre nature grandiose et histoire sordide, la Nouvelle Calédonie tire une image d’elle-même métissée et farouche. Ici, partout les vestiges des bagnes ou ceux des combats indépendantistes côtoient les endroits les plus paradisiaques. Comme la longue plage de Poé, sur la côte ouest, bordée d’eaux claires et de coraux multicolores, qui nous invite à de longues promenades durant lesquelles nous ramassons des coquillages et des galets polis. C’est là que nous irons en bateau à fond de verre à la découverte de ces étranges forêts de corail habitées par des poissons multicolores, un monde vivant, mouvant, plein de nuances et de formes stupéfiantes.

Et puis, il y a l’île des pins, aux eaux absolument translucides, aux plages de sable blanc et aussi doux que la farine la plus fine, aux sublimes baies pittoresques. On tombe sous le charme de la baie de Kanuméra où se trouve notre hôtel, petite et abritée, en demi cercle parfait, celle d’Upi, que l’on emprunte dans une pirogue traditionnelle avec un capitaine taciturne, la baie d’Oro et sa piscine naturelle remplie de poissons, de petites méduses et de tricots rayés, un petit serpent noir et blanc venimeux.

Il faut ici mentionner la couleur de l’eau ou plutôt sa non couleur, tant elle est claire et limpide. Le regard file sur la surface cristalline comme le vent, sans prise, sans retenue. On croise l’ombre de tortues et de raies qui évoluent dans un mouvement égal et rapide. Pour continuer encore dans le bleu, on part en excursion et on ajoute des dauphins qui font la course avec notre bateau, des tortues à grosse tête que l’on caresse comme des gros chiens, et des raies pastenagues qui nagent avec nous, longues et fluides. On évolue dans le bleu turquoise ou le bleu lagon dans la baie des tortues, on marche sur l’hallucinant atoll de Nokanhui en forme de point virgule, perdu au milieu de la mer comme une page vierge, et on déjeune sur un ilot désert en compagnie de centaines de Bernard l’Hermite. Les enfants s’empressent d’organiser une course de mollusques et nous ne tardons pas à encourager Nanard ou bien Mimite ! On est bien, au paradis. Seule l’épicerie du bout du monde nous rappelle à la dure réalité de l’éloignement, le choix des produits est assez limité, il n’y a pas de place pour le superflu… Nous préférons sans conteste le restaurant de l’hôtel et nous sommes rassurés de découvrir dans nos assiettes un poisson fin qui répond au nom de « bec de cane » et non un morceau d’oiseau broyé !

A quoi s’attendre quand on vous vend la destination comme une des îles les plus belles au monde ? A force de l’entendre, c’est vrai qu’on avait un peu peur d’être déçus, quand on attend trop de choses d’un endroit, c’est souvent ce qui arrive. Exception faite de l’île des Pins, qui remporte ce titre haut la main. Pour commencer ce mois de décembre, nous nous trouvons dans un endroit absolument sublime, les enfants ont des nageoires qui leur poussent dans le dos à force de barboter, et nous faisons la sieste à l’ombre des pins qui recouvrent ce petit bijou.

La Tribu de Tendo

Si les paysages et l’histoire de l’île sont uniques, une autre facette particulière à la Nouvelle-Calédonie, c’est celle de pouvoir s’immiscer dans la vie d’une tribu kanake pour essayer d’en découvrir le mode de vie. Nous avons décidé de partir deux jours à la rencontre de Julie et Jean-Claude, à Tendo. Nous faisons route de Bourail, à l’ouest, à Hienghène, à l’est, à travers la chaîne, ces montagnes qui coupent l’ile en deux. Les kilomètres sont beaucoup plus longs que la normale en raison des reliefs, et la pluie arrose copieusement cette épine dorsale. La végétation verdit et s’étoffe, on quitte la cote sèche pour la côte humide. En toile de fond, les points culminants dominent des panoramas échancrés à couper le souffle.

A Hienghène, on découvre, amusés, la poule couveuse, formation rocheuse à la forme évocatrice, le sphynx, et de magnifiques falaises abruptes, les Roches de Lindéralique qui surplombent les eaux claires.

Pour se rendre à Tendo, nous quittons le bord de mer, et nous nous enfonçons dans la végétation pour une petite demi-heure de route sur un chemin cabossé. Nous arrivons en fin d’après-midi au village. 130 habitants, 7 familles, une place de marché, une église, un terrain de sport, une rivière et une case de clan. Jean-Claude est chef de clan, et prête la case pour les touristes comme nous, lorsqu’ils viennent passer la nuit au village. Sa femme Julie nous reçoit, mais on est chez lui, précise-t-elle. C’est à lui qu’il faut faire la coutume. Et nous voilà tous gauches et maladroits, un peu embarrassés avec notre cadeau. Faire la coutume, c’est remettre à son hôte d’abord le manou, un lai de tissu, et quelques menus cadeaux ou un billet. Cela peut paraître désuet, mais ça reste très important, de ce que l’on sait. On est dans le symbolique. On a préféré les symboles au billet. La préparation de notre visite nous a occupés un bon moment. Déjà, nous sommes partis à la recherche du manou, ce morceau de tissu qui accompagne le cadeau et que l’on peut trouver au supermarché, il n’y a qu’a demander, encore faut-il le savoir. Nous y ajoutons un taro, sorte de racine comestible et un paquet de cigarettes. Plus tard, j’ai lu qu’on pouvait aussi offrir un petit souvenir de son pays, j’ai trouvé l’idée plus que judicieuse, puisqu’on est dans l’idée de partage et d’échange. Jean-Claude, bourru mais aimable, nous explique que c’est un signe de respect réciproque. Nous respectons notre terre d’accueil en offrant un petit quelque chose, nous marquons notre déférence au clan, et de son côté, le clan nous accepte et nous prend sous son aile, nous protège et nous héberge. Bon, on paie aussi pour passer la nuit et dîner, ceci dit, une somme assez dérisoire, comme une participation aux frais, en somme.

Ce sont les enfants de la tribu qui nous accueillent en nous demandant le prénom de nos grands parents. Sans vraiment écouter la réponse, ils partent en courant en entraînant les nôtres pour jouer à chat. Julie nous montre la case, sommaire, matelas au sol, toilette et douche rudimentaires et salle à manger-cuisine basiques. Nous sommes venus ici pour ça, alors pas de surprise.

Il est tard, et nous dînons avec Julie et sa plus jeune fille Aicha, un peu plus âgée que Lucie. Nous goûtons au bougna crevettes, un pur régal, et Julie répond à nos questions. On parle des tribus, des dialectes, des coutumes, de la scolarité des enfants, des cultures, de la chasse et de la pêche, comment préparer un bougna, des touristes qui viennent chez eux, au bout du bout du monde… On aborde même la question kanake, hier, on a fêté les 30 ans du début des événements, quand 10 indépendantistes se sont faits assassinés, c’était juste en bas de la route, à une dizaine de kilomètres d’ici. On plaisante aussi, Julie est affable et sans manières, on se sent vraiment comme des invités.

Le lendemain, après une nuit un peu raide (le matelas par terre, c’est bon pour les dos de 20 ans !), Julie nous apprend à tresser la feuille de pandanus, nous en faisons des bracelets et des couronnes. Lucie s’applique sous les explications d’Aicha, même Fabrice et Anatole participent, attentifs et dociles. On papote en même temps, la famille de Julie, autour de nous, vaque à ses occupations, c’est la journée de travail obligatoire pour la commune, les hommes débroussaillent et nettoient et les femmes cuisinent pour leur pause déjeuner.

Après l’atelier tressage, nous partons à la pêche à la crevette dans la rivière. Nous voici pataugeant dans l’eau, remontant le courant, armés de sagaies et d’une épuisette. Anatole est à fond., pourtant, nous sommes de bien piètres compagnons de labeur. Julie a l’œil et connait bien le coin, elle se faufile sous les rochers et les algues, passe sa main sous le feuillage, le geste sûr, attrape les bestioles et nous ramène de magnifiques crevettes d’eau douce, qu’elle fera griller à la poêle avant notre départ. En rentrant de la pêche, on ramasse un pamplemousse et des noix de coco que l’on partagera.

Il est temps de laisser nos hôtes. Nous les quittons, pensifs. Ils nous semblent bien plus heureux que beaucoup d’autres dans leur petit monde. Loin de tout, Julie par exemple ne descend à Hienghène que pour « les papiers ». Leur notion de temps est aux antipodes de nos courses effrénées contre la montre. Ils vivent au quotidien de l’échange et de la transmission des savoirs, en accueillant des touristes. Vivre ainsi dans une microbulle, en serions-nous seulement capables, nous qui cavalons autour du monde depuis quatre mois ? Nous n’avons pas été complètement honnêtes avec nos hôtes, nous ne leur avons pas parlé de notre voyage. Cela aurait été déplacé. Non pas pour une question d’argent, la richesse de Julie et Jean-Claude est ailleurs, mais simplement parce que que leur vie nous semble en parfait équilibre avec leur environnement, leur famille, le clan, la nature et le temps qui passe, qu’il nous semble inopportun de leur raconter nos folles trépidations, comme un affront à l’ordre établi. Trop de divergences ici. Et bien peu d’arguments de notre côté.

Au moment de partir, Jean-Claude le taciturne, jusque là peu bavard, vient nous saluer. Il s’adresse surtout à Fabrice et je comprends qu’il faut laisser « les papas entre papas » comme dirait Julie. Je m’éclipse, respectant la tradition et la façon de faire du chef, loin du mode de pensée paritaire de mon Europe du Nord. Il parle à Fabrice de la vie en communauté, du droit à la différence, du partage des expériences de vie, du respect mutuel, il lui révèle son vrai visage, celui d’un homme fier de sa culture et heureux de pouvoir en transmettre ne serait-ce qu’une infime partie. C’est ça la Nouvelle Calédonie. Farouche, réservée, mais fière de ses origines, un peu à l’image de Jean-Claude.

La vie à pleines dents

Nous fêtons les 9 hivers de Lucie à Hienghène. Je la couvre de baisers, et la prend dans mes bras, autant qu’elle le veut, puisqu’elle le veut bien encore ! Sa couronne de pandanus tressée sur la tête, dans sa robe polynésienne, et avec ses cadeaux (des livres !!!), elle a un sourire ravageur et du bonheur plein les yeux ! Le vrai gros cadeau qui l’attend, c’est un baptême de plongée, en face de Poindimié, elle est absolument aux anges.

La route entre Poindimié et Hienghène est magnifique, les bougainvillées et les flamboyants rivalisent de couleurs écarlates. Ici, on m’explique, les enfants comprennent que c’est l’été, la fin de l’école, le début des fortes chaleurs et l’arrivée du Père noël quand ils voient les flamboyants s’embraser. Parfois, il y en a tellement sur les collines qu’elles se teintent de rouge vif, comme un incendie. C’est l’image que je garde de ce séjour en Calédonie. Une terre à vif, une île à l’identité forte, cherchant à se réapproprier le sang de ses ancêtres qui pulse encore sûrement dans les fleurs écarlates des flamboyants.

Nb- En cadeau bonus, notre Anatole dans le plâtre, Quelques 12 heures avant de prendre l’avion pour la Nouvelle Zélande. Notre première visite aux urgences depuis notre départ. On espère ne pas commencer une longue série !

 



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