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Boulette

par Anne
James Cook

Eh ! M’sieur Cook ! T’aurais pas dit une bêtise, là ?

Oui, le jour où tu as mis le pied sur le rivage austral, en 1770, quand  tu es parti explorer cette terre écarlate et brulée, que tu y as croisé des hommes aussi rouges que leur terre, mais que ça ne t’a pas pour autant empêché de déclarer l’Australie Terra Nullius ?

Terra nullius. Territoire sans maître.

Rien que ça. Tu avais mal dormi ou quoi ? Ah ça, on ne peut pas te reprocher le sens de la formule. Mais faut être quand même un peu couillon pour sortir un truc pareil avec autant d’aplomb alors que tu croises des hommes, des clans, des sociétés organisées sur tout le territoire, enracinées dans leur culture et leurs traditions, attachés à leur terre brune, celle de leurs ancêtres.

Deux mots, et voilà que tu sèmes le chaos pour les siècles à venir. J’appelle ça une belle boulette. Alors bien sûr, c’est l’époque, et tout ça, mais quand même. C’était certainement plus compliqué que ça, vu du pont de l’Endeavour, avec tous les ronds de cuir qui t’attendaient au tournant, là-bas en Albion, mais tu aurais pu réfléchir un tout petit peu plus !
Deux mots qui suffisent à couvrir une mise-à-sac en bonne et due forme, à justifier d’une annexion parjure. Et personne pour te contredire. Pour toi et tous tes petits copains de l’époque, pas tous recommandables ni fréquentables, deux mots et c’est la porte ouverte sur l’immensité australe, la possibilité de s’octroyer ni vu ni connu, je t’embrouille, une terre aussi vaste que l’Europe entière, l’occasion qui tombe pile pour s’asseoir, profanes, sur des rites, des coutumes et des tombes ; pour pousser les indigènes, va t-en de là que je m’y mette, les refouler aux confins du pays, les parquer dans des réserves, là où la terre est sans vie, là ou rien ne les appelle, rien ne les retient ; pour les empoisonner, les contaminer de maladies jusqu’alors inconnues d’eux, les faire picoler du mauvais vin jusqu’à ce qu’ils en crèvent, tout en disant haut et fort que c’est leur faute à eux, à ces moins que rien, ces sous-hommes, ces non-hommes. Un peuple réduit à du bétail.

Une belle connerie, oui ! T’avais rien de mieux à faire ce jour-là ? J’espère que tu étais loin de te douter du tort que cela allait causer. Du foutoir organisé. Des hommes refoulés, des familles expropriées, des terres usurpées, des droits refusés, des enfants métis enlevés, des aides versées puis bientôt des aides coupées, l’humanité bafouée, la honte et l’opprobre, la suprématie du blanc sur tout ce qui n’est pas immaculé. Figure toi, M’sieur Cook, qu’au XXIème siècle, au temps des smartphones et d’internet, une époque soit disant avancée et civilisée, aujourd’hui encore, les territoires aborigènes ne représentent que 10% du territoire australien. Dans certains états, comme le Victoria, la population aborigène ne représente même pas 1% de la population totale. Tu sais quoi ? Pour un peu, si l’on n’y fait pas gaffe, on pourrait même penser qu’ils n’ont jamais existé !

Et il y en a même qui continuent de dire qu’ils l’ont bien cherché. Qu’ils ne valent rien, ces hommes dont on a oublié le passé balayé dans la poussière du désert, qu’on a rendus dépendants, qu’on dit veules, fainéants et incestueux pour la plupart, abrutis à la gnôle du matin jusqu’au soir pour oublier qu’ils n’existent pas dans les statistiques du gouvernement qui peine à s’excuser et  encore moins dans les lendemains qui chantent. Un peuple qui a perdu sa place, son honneur et son espérance, sa petite flamme de vie.

Franchement, il n’y a pas de quoi être fier sur ce coup-là. C’était une grosse, grosse bêtise, M’sieur Cook.



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