Au hasard de nos étapes et de nos pensions anonymes, nous avons dîné sur de ravissantes nappes en plastique aux motifs des plus ravissants et inattendus, fleurs ou coccinelles, tasses de café fumantes ou ribambelles de carottes et d’oignons frais… Nous avons dégusté des mets succulents dans des vaisselles aux figures abstraites et aux teintes tout aussi conceptuelles. Nous avons dormi dans de belles chambres aux dessus de lit fleuris, cousus dans des tissus synthétiques et moirés, qui restent accrochés à vos doigts pour peu que vous ayez la peau des mains un peu sèche. Nous avons admiré des centaines d’œuvres accrochées aux murs, huiles ou aquarelles, natures mortes, paysages, couchers de soleil rougeoyants, dos de femmes dénudées et petits chiens joyeux. Nous avons posé nos fesses sur du mobilier aussi intriguant que branlant. Nous avons passé des trajets entiers dans des bus aux fenêtres ornées de petits rideaux de dentelle criards, bu un verre sur des terrasses de café aux guirlandes de plastique colorées, aux lumières kitsch, aux musiques ringardes.
Passé l’effet de surprise, parfois même le fou-rire, nous avons souvent réalisé, médusés, que ces décors étranges et peu familiers, reflétant pour nous le comble du mauvais goût, passait en ces lieux pour le top du top de la déco design.
Alors qu’est ce que le bon goût, à part une notion somme toute bien relative ? Est-ce eux ? Est-ce nous qui en possédons la substantifique moelle? Une chose est sûre : nul n’en a le monopole. Ce qui lui confère une variété de déclinaisons excessivement hétéroclite, fortement liée à la culture et l’économie du lieu où l’on se trouve. Il en va de même pour les bonnes manières et tout ce qu’on nous a appris dès notre plus tendre enfance. Un tout qui explose littéralement au hasard d’une porte franchie, d’une table d’hôtes, d’une auberge sur la route.
Le bon goût, quant à lui, a en général la bonne idée de s’échapper alors pour se réfugier dans la beauté d’un costume folklorique, dans le sourire d’un hôte et dans l’accueil amical et serviable qu’on réserve à l’étranger, l’hôte de passage, fringué comme l’as de pique et aux manières plus que douteuses.