(du 11 au 28 octobre 2015)
Reprendre son souffle
Quand nous redescendons de Potosi, la première chose qui me surprend tandis que notre bus nous ramène dans des altitudes « normales », c’est la végétation qui reprend de la hauteur. Alors que je ne m’étais pas rendue compte qu’ils avaient disparu du paysage, revoir les arbres me procure une joie immense. Leurs couleurs, leurs silhouettes, leur odeur que j’imagine, le vent qui les fait chanter, tout m’émeut. Quelquefois, ces arbres revêtent des fleurs violettes, robes de couleur dans tout ce paysage redevenu vert. C’est salvateur, comme l’apparition du printemps après un long hiver.
Le trajet dure trois heures, mon voisin mâche ses feuilles de coca sans discontinuer, on dirait qu’il grignote comme un petit rongeur, et l’odeur entêtante d’herbe séchée se répand autour de lui.
A quelques kilomètres de Sucre, le bus s’arrête. Devant nous, une ribambelle de voitures s’est immobilisée. Des vendeurs de glace et des stands de boissons et de nourriture en bord de route nous intriguent. Bouchon ? Accident ? Si c’est le cas, ils sont bien rapides, ces vendeurs de rue, pour installer leur boutique ! Mais en fait, non, il s’agit simplement d’une course automobile qui coupe la circulation et personne n’a l’air d’être au courant !! Les passagers des véhicules sortent et s’installent sur la chaussée, à l’ombre de leur voiture ou des bus immobilisés. On mange, on se rafraîchit, on jette ses déchets dans les bas-côtés. Ca va durer presque trois heures, sans que personne ne songe à ronchonner. Imaginez mon émoi !
Nous repartirons aussi vite que nous nous sommes arrêtés, et notre bus qui couine pousse la chansonnette en émettant un petit bruit digne d’un flutiau local qui fait bien rire Fabrice.
Un petit morceau de Sucre blanc
Sucre est une petite perle blanche, charmante et élégante comme un collier fin. Nous sommes en plein contraste avec les villes de briques de l’Altiplano. Les bâtiments sont le plus souvent couverts de chaux, les ruelles égayées par les bougainvilliers vibrants et les rosiers odorants. Sous un soleil radieux, elle se dévoile le long de ses voies blanchies, lumineuse. Dans le vent printanier, on découvre la cathédrale, sur la place du 25 mai, les maisons coloniales reconverties en jolis musées, la Recoleta, sur la place Anzures. En montant sur le toit de l’église de la Merced, on bénéficie d’une jolie vue d’ensemble de la ville blanche qui niche dans le creux des vallées, les yungas, toits ondulants et ciel limpide. Sucre s’offre, coquette et joviale, facile d’accès.
Nous allons moins vite, cette semaine. Après l’école du matin, nous sortons pour des petites visites culturelles, au MUSEF pour y voir une belle collection de masques de carnaval, certains tout simples et d’autres ouvragés avec moult broderies et plumes, ou au parc cretacico, ce dernier unanimement plébiscité par les enfants. Un petit parc, pour les grands l’intérêt réside dans les 5000 empreintes laissées par les dinosaures il y a 68 millions d’années, tandis que les petits se laissent impressionner par des reproductions grandeur nature de diplodocus et autres T-Rex prêts à les croquer !
Un soir, avertis par le chauffeur de taxi, nous avons même la chance de pouvoir aller aux museos universitarios gratuitement, c’est nocturne ! Outre les belles collections d’art colonial, contemporain (Gil Imana Garron, Graciela Rodo Boulanger) et de momies bien épouvantables (en même temps, on commence à s’habituer !), nous écoutons un joli concert de musique baroque, tout droit sorti des missions jésuites dans lesquelles nous nous rendons les jours suivants. Moment assez magique où la musique captivante allie la légèreté de la flûte à la gravité du tambour… Malheureusement la fin de notre semaine à Sucre voit les troupes tomber les unes après les autres. Fièvres, toux, rhumes, bronchites et sinusites… Fabrice errera toute une journée dans un espèce de coma, les jambes flageolantes. Clouées au lit, les filles tentent de se refaire une santé avant de quitter les vallées pour les plaines de l’Amazonie.
La dévotion discrète des Missions jésuites de la Gran Chiquitina
Nous effectuons un vol d’à peine une trentaine de minutes, durant lequel nous voyons disparaître complètement les montagnes pour la plaine qui s’étend à perte de vue.
A la sortie de l’avion à Santa Cruz de la Sierra, l’odeur de la chaleur nous saute aux narines. On se fait rattraper par des températures torrides. On descend de l’avion pour attraper un minibus qui nous emmène en cinq heures à Concepcion, où se trouve une des sept missions jésuites de la région. Bien évidemment, le véhicule qu’on nous a « vendu » n’est pas le même, le nôtre est en bien plus mauvais état, la route n’est pas aussi directe et on fera plein de stops pour ramasser de nouveaux passagers, sans parler de la roue que le chauffeur va reboulonner sur la fin du parcours… On n’est pas à ça près et on arrivera cependant à bon port !
Les paysages pelés des plaines laissent peu à peu place à une végétation tropicale sèche qui recouvre les collines que nous dévalons. Des villages, de loin en loin, suivent la route, San Jamon, 4 catanos… Nous avalons les kilomètres dans une moiteur odorante.
Au XVIIème siècle, dans ce coin reculé du monde, les jésuites vinrent apporter la bonne parole à la quarantaine d’ethnies indigènes éparpillées dans la région. Contrairement à ce qui pouvait se faire ailleurs dans les colonies, ils adoptèrent une attitude franchement humaniste, dans le respect des cultures et de la langue. Ils sédentarisèrent les tribus locales, organisèrent les missions en petites communautés autonomes. Chaque mission était dirigée par une poignée d’hommes, indiens et jésuites mélangés. En plus des savoirs que les pères enseignaient aux villageois, sous l’impulsion du Père Martin Schmid, la musique baroque connut un véritable engouement autant pour la composition que pour l’interprétation et se voit aujourd’hui mondialement reconnue. Socialement ordonnées, stables, véritables organisations militaires et communautaires, les missions attirèrent la convoitise des gouvernements espagnol et portugais, et en 1767, les jésuites, tombés en disgrâce, furent expulsés sans ménagement. Elles furent dissoutes, pillées, les populations locales abandonnées et la région tomba dans l’oubli. Dans les années 70, un suisse, l’architecte Hans Roth, œuvra jusqu’à sa mort pour que les missions retrouvent leur beauté d’antan en restaurant les églises du Chiquitano dans le plus pur style baroque métis. L’autre héritage incontestable laissé par le Père Schmid, c’est les partitions uniques au monde, que les indiens retranscrivirent et conservèrent précieusement, chefs d’œuvre musicaux maintenant préservés.
L’architecture des églises des missions est d’une beauté saisissante. Bois sculpté, dorures et peintures murales aux tonalités de brun, orange et jaune sont les principaux attributs de ces édifices immenses. Ils s’imposent dans le paysage par leur simplicité et leur modestie. Magnifiques dans leur isolement et leur dépouillement, les missions exhalent une foi naïve, une dévotion contenue, une ferveur paisible sous le soleil brûlant.
Les villages dans lesquels nous séjournerons sont loin des circuits touristiques. San Javier Et Concepcion sont de petites bourgades poussiéreuses, dont les rues sont dotées de façades sobres protégées par des coursives aux piliers de bois torsadés, leur ombre apaisante gagne les maisonnées. Les encadrements des portes et des fenêtres sont décorées de fresques. Les portes entrebâillées laissent apercevoir des patios fleuris et frais. La place principale de Concepcion s’anime à la nuit tombante, les jeunes viennent s’y retrouver autant que les vieux, comme partout ailleurs en Bolivie. Il n’y a pas grand-chose à y faire, mais c’est ça qui rend ces endroits magiques. Il n’y a pas grand-chose à y faire, à part regarder la vie quotidienne au rythme lent et répétitif, réconfortant.
Encore une fois après Sucre, notre rythme est ralenti par fièvres et courbatures. Anatole tombe malade et reste cloué au lit deux jours, et moi je repars dans des nimbes fiévreuses et frissonnantes. Finalement Concepcion est un endroit parfait pour se retaper : c’est calme et il y fait chaud et sec ! Du coup, toute la fin de notre programme est chamboulée. Il faut le reconnaître, nous n’avons pas la force ni l’énergie de repartir à fond comme il était prévu à la découverte du parc de Torotoro. Bien sûr, nous sommes déçus, mais rejoindre le parc nécessite environ une quinzaine d’heure de route en bus dont la perspective ne nous enchante guère avec la petite troupe sur les rotules. Nous décidons de rester deux jours de plus au chaud, entre Concepcion, San javier et Santa Cruz pour reprendre des forces et ensuite remonter directement sur la Paz pour les derniers jours de notre voyage en Bolivie.
Il nous faut également organiser la suite du voyage, l’après Bolivie. Cette fois-ci, nous quittons le continent sud-américain, et si notre escale sur l´île de Pâques est déjà planifiée depuis belle lurette, notre séjour en Polynésie est totalement en friche, alors que nous prenons conscience que les îles sont loin d’être une destination routarde facilement gérables au quotidien, de manière spontanée… Nous employons donc ces derniers jours à nous remettre sur pied et à préparer la suite des réjouissances !