M Poh, lors d’une excursion, nous emmène nous baigner plus bas sur la rivière Tad Lo. Encaissée au bout d’un chemin en terre, dans un petit trou boisé qui malheureusement semble avoir pris feu il n’y a pas longtemps, désolé, l’endroit est absolument répugnant. Partout sur la berge et dans l’eau, des détritus sont répandus sur des mètres carrés.
Secrètement, j’imagine qu’il s’agit d’une bonne gueule de bois d’après Pi Maï. Que l’endroit est normalement propre et accueillant. Si seulement ! Nous restons indécis, nous marchons en évitant les sacs plastiques éventrés, les bris de verre, et les restes en tous genres, les yeux baissés, mal à l’aise dans cette quasi décharge. Une tong, des boites en polystyrène encore pleines de nourriture, des restes d’emballage, des capsules de bière à foison, des foyers dont les braises fument encore…
Nous avions demandé à M. Poh un endroit pour nous baigner et comme les cascades sont à sec, il nous a amené ici. Lui n’hésite pas, en deux temps, trois mouvements, le voilà dans l’eau fraîche. Anatole le suit, mais pas nous. Ce rapport à la propreté me trouble. Je n’ose pas lui avouer que nous trouvons l’endroit trop sale pour oser y mettre un orteil. Que j’espère en secret que mon fils ne nous ramènera pas une maladie de peau incurable à patauger dans ce coin. Que ma fille regarde la mousse jaune coincée vers les cailloux de la rive avec un dégoût juvénile que je partage en silence. C’est idiot, je le sais, l’eau de la rivière est vive et ne stagne pas. On écourte malgré tout notre halte. M. Poh sent-il notre malaise ? Et pourquoi n’osons-nous pas en parler avec lui ? De quoi ai-je peur ? De le vexer ? D’être désobligeante ? D’être déplacée ? Peut-on demander à quelqu’un d’ouvrir les yeux sur quelque chose contre lequel il ne peut pas grand-chose ? Je ne sais pas. Mais mon silence d’alors me pèse aujourd’hui comme une faiblesse inexcusable.