Accueil DestinationsAsieCambodge Carnet de voyage Cambodge (2ème partie): la force vive

Carnet de voyage Cambodge (2ème partie): la force vive

par Anne
Cambodge

(du 4 au 26 mai 2016)

Apsaras et nagas, Angkor la merveilleuse

Depuis Battambang, quatre heures de route nous relient à Siem Reap, la ville de ralliement des touristes de tout poil pour découvrir les temples d’Angkor, le plus grand sanctuaire au monde encore en activité, le premier site touristique visité en Asie, autant dire que la barre est haute, ici !

Siem Reap ne nous fait pas tourner la tête plus que ça, c’est juste une étape très touristique, avec sa Pub street et ses marchés de nuit. C’est là qu’on pose nos sacs, encore en formule hotel de luxe avec piscine. En fait la piscine, c’est le seul moyen efficace qu’on ait trouvé pour refroidir les épidermes surchauffés, la sueur dans le dos et le corps en ébullition par les heures de visite dans l’immense complexe d’Angkor où l’ombre est rare. Parce que le site d’Angkor, en fait, ce n’est rien de moins qu’une étendue de 400 km2 recouvert de la multitude de vestiges de l’immense cité khmère qui se développa entre le IX et le XV siècle. Murs d’enceinte, douves, bassins, terrasses et un nombre incalculable de temples au fil du temps hindouistes puis bouddhiques et de nouveau hindouistes composent l’incroyable richesse architecturale du site. Le déclin de la cité pourtant si avancée en son temps reste un mystère, même si l’on suppose qu’il est lié à des périodes de sécheresse prolongées interrompues de pluies diluviennes. La végétation a alors repris ses droits et bercé dans ses bras noueux les merveilles d’Angkor. Aujourd’hui, on visite de nombreux édifices en ruines éparpillés dans la forêt au milieu de la verdure et d’un dédale de chemins ombragés que parcourent bus, tuk-tuks et vélos, acheminant les touristes de toutes nationalités. Depuis 1992 le site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et nous, nous découvrons petit à petit, au fil des heures et des jours passés à arpenter cet incroyable musée à ciel ouvert la magnificence d’une civilisation aujourd’hui disparue.

Autant le savoir, le nombre de temples à voir et l’étendue du site, couplés à la chaleur écrasante, demandent une petite préparation nécessaire à la visite d’Angkor. Et malgré cela, plus on visite de temples, plus on a envie d’en découvrir tant la magie intacte, accentuée par la nature envahissante pour beaucoup de ces temples, enchantent. Bien vite, les 3 jours du pass qui paraissent largement suffisants au départ deviennent bien vite maigres et trop courts ! En outre, la galerie aux 1000 bouddhas mérite un petit détour au musée national, il faut bien plus de temps pour découvrir les différentes salles instructives du musée.

Angkor nous offre nos premières heures de visite sous un ciel plombé, jour de pluie. Nous faisons même une photo devant Angkor Wat presque vide en raison du temps maussade. Nous en profitons car la foule se presse normalement au pied de ce temple, sans néanmoins en gâcher la prestance et la grâce. Le petit orage, juste à notre arrivée à Ta Phrom, nous oblige à patienter à l’abri des ruines et des arbres, comme une introduction languissante à cette visite tant attendue tandis que les enfants du coin jouent dans les flaques d’eau. Nous visitons le temple noyé par la végétation, recouvert par les fromagers aux immenses racines puissantes et massives qui prennent vie dans la pierre même du temple, les ruines recouvertes de lichen qui se teintent de vert et se déclinent en un dédale infini de couloirs, de cours, de passages et de sanctuaires.

Nous longeons Angkor Thom, la ville fortifiée, et le mur d’enceinte qui protège jalousement ses trésors devant des douves larges et profondes. Nous visitons le Baphuon, palais céleste, la terrasse des éléphants qui fait face à la terrasse du roi lépreux, Bayon, temple montagne, tout en aplombs, 54 tours à 4 têtes, noir de cœur, intriguant, mystérieux et terriblement séduisant.  Et puis enfin, au lever du soleil, les tours d’Angkor Wat se découpent sur le ciel qui s’éclaircit peu à peu et dévoile toute la beauté du site. Symbolique, le temple montagne d’Angkor dédié à Vishnu est entouré de larges douves, représentant la mer de lait. La silhouette unique du temple se révèle au fur et à mesure que le soleil se lève, puis les couleurs se matérialisent, mousse verte et pierre noire, grès et latérite, gris noir et rose. Lorsqu’on traverse la porte monumentale, on se retrouve devant un mur d’enceinte de 235 mètres aux bas-reliefs magnifiques. Le site totalise 800 mètres de fresques grandioses où dansent les apsaras, combattent les princes, leurs armées et les énormes najas. Il faut passer un peu de temps devant le bas-relief du barattage de la mer de lait, extraordinaire fresque où les apsaras, ces nymphes sacrées et célestes évoluent en un pas de danse aérien et léger. A l’extérieur, les plans d’eau sont bien tristes. Sras Sang malheureusement ne sera pour nous qu’un bassin asséché par la chaleur et le manque de pluie.

Nous arpentons les différents sites entre ravissement et appétence, Phnom Bakheng et sa vue en hauteur, Banteay Kdei avec sa belle salle de danse. Nous entrons à chaque fois dans un univers particulier. Il y en a tant de ces temples fabuleux qu’une vie ne semble pas suffire pour tous les appréhender.

Angkor est fascinant et laisse en bouche un goût de perfection, de magnificence et de grandeur d’âme. Les temples et sanctuaires ont chacun leur personnalité et se visitent à tous les degrés, qu’on soit promeneur, artiste, historien ou escaladeur, chacun y trouve son compte. On explore, on découvre l’art et la culture khmers, on admire l’exploit des bâtisseurs, l’architecture parfaite, la finesse de l’ouvrage, on se laisse gagner par les siècles passés et le véritable défi à la raison qu’il représente, à jamais.

On se la coule douce à Otres Beach

Dans notre choix pour se poser en famille, nous optons pour Otres Beach plutôt que Sihanoukville. Une virée un soir sur la plage de Sihanoukville nous donnera raison. Là-bas, quelques kilomètres plus loin, c’est l’usine à touristes, sale, peuplée, prostituée et mendiante.

A Otres, petite station avec sa rue unique en terre battue, ses resorts de bungalows en feuille de palmiers, ses restos sommaires et ses gargotes les pieds dans l’eau, on fait dans la simplicité, le luxe est ailleurs, peut-être est-ce seulement cette plage quasi-déserte qui nous tend les bras.

Il y a quelques îles au large, toutes proches et désertes que l’on découvre en bateau : Koh Tres et Koh Ta Kiev notamment, avec sa longue plage déserte, et ses spots de snorkel qu’Yves trouve « Génial » ! Il y a aussi les petites falaises qui permettent à Anne-Lise de braver la gravité en sauts sportifs. L’eau est tellement chaude que l’air est presque plus frais. Les orages tournent souvent autour de nos têtes, quelques gouttes tombent mais souvent ils s’échappent et ne nous laissent comme souvenir qu’une peur bleue pour tout le monde, lorsque la foudre craque dans un bruit assourdissant, elle n’a pas du tomber loin.

A Otres, on se met à l’heure « low season », on se la coule douce. Sur la plage ombrée de casuarinas dont les fruits comme des petites pommes de pin tapissent le sable, on accepte massages et pédicures prodigués par des mains expertes, on prend nos repas avec vue sur la mer, pieds dans l’eau avec le chuchotement des vagues en bruit de fond. On profite aussi les uns des autres, Anatole ne quitte plus Yves d’une semelle, ils s’en racontent, les deux… Anne-Lise et Amélie font de longues promenades sur la plage et papotent avec Lucie, chapeau sur la tête, de l’eau jusqu’à la taille. On vadrouille à scooter, on profite de la vue sur les collines derrière Sihanoukville, on assiste à la fin d’une fête liée à la naissance de Bouddha, des processions de nuit sont prévues mais conduire de nuit ne nous dit rien qui vaille… La vie tranquille, le rythme ralenti, sans envie particulière que celle de se laisser aller, étendus sur une chaise longue, ou à l’ombre, sur la terrasse d’un hôtel chic.

Le temps des vacances s’achève, nos chemins se séparent bien tristement. Nos trois jeunes repartent sur Phnom Penh direction Paris. Nous, nous reprenons nos sacs pour rejoindre Kampot.

L’air épicé de Kampot

Kampot s’accroche aux rives de la rivière, à quelques dix kilomètre de la mer. C’est une petite ville toute mignonnette, près de la montagne de l’éléphant et des plantations de poivre, des salines et des rizières, avec un petit centre calme mais plein de vie.

Il suffit de prendre un tuk-tuk pour en découvrir toutes les saveurs. Les salines se situent à la sortie de la ville, où l’eau de la mer est irriguée pour déposer le précieux or blanc. Mais ici, c’est surtout l’or vert, ou rouge ou noir qui prime. Lors d’une visite de plantation, j’apprends que le poivre noir, rouge et vert pousse sur le même pied, ce n’est que leur stade de maturation qui différencie les grains. Le poivre de Kampot est réputé dans le monde entier, et je trouve que son goût suave vraiment très parfumé laisse la part belle aux saveurs qu’il rehausse. La région est agricole et la pluie qui tombe régulièrement depuis une quinzaine de jours a déjà reverdi le paysage, nous dit-on. Nous entrapercevons comment la nature se charge d’embellir le paysage comme au pied du lac secret, quand la pluie colorie les champs. C’est vrai qu’il pleut plus, l’air en est alourdi, il devient moite mais réduit les températures, nous ne nous plaignons pas. Dans la campagne, on peut voir des maisons sommaires sur pilotis, gracieuses sur leurs longues jambes en dessous desquelles les vaches viennent chercher le frais ombrageux, ou les hommes viennent se mettre à l’abri, en fin d’après-midi. La saison a bel et bien commencé !

Les fantômes de Kep

A une heure de route de Kampot, nous prenons le temps de découvrir Kep, dont les villas vides, vestiges muets mais accusateurs de la barbarie du régime de Pol Pot, impressionnent. C’est toute une société coupée dans son élan et figée dans cette image triste et effrayante de décombres de maisons cossues des années 60, architecturalement très marquées par le style Bauhaus, Le Corbusier et consorts, propriétés d’une élite bourgeoise post coloniale que les Khmers rouges abhorraient et qui hantent aujourd’hui encore la ville. Certains disent que les propriétaires eux-mêmes démantelèrent leurs maisons pour pouvoir subvenir à leurs besoins. D’autres soutiennent que les Khmers rouges ont mis le feu dans chacune d’entre elles. Aujourd’hui, telles des fantômes, ces villas témoignent, muettes et borgnes, de ce passé excessif. Le pays se relève, et se bat pour la démocratie, mais Kep garde en elle cette trace vivace, telle une cicatrice encore mal refermée sur un passé prospère et perdu.

Kep vit cependant. Nous passons par le marché au crabe, sur la jetée, où règne une belle agitation. Crabes, crevettes, calamars, poissons frais ornent les étals des femmes, tandis que les hommes ramènent les paniers de la mer, juste à côté. Au dessus des nasses, les connaisseurs et fins gourmets se penchent sur la pêche du jour pour choisir les plus belles prises. On ne peut pas faire plus frais !

Nous prenons le bateau pour Rabbit Island, la mer est agitée, ça gite et ça gicle, on est trempés en arrivant sur la petite île, à une demi-heure de bateau. La plage est quasi déserte, il y a juste un resto d’ouvert, il faut dire que le vent souffle, les vagues sont grosses, on est loin de l’image de carte postale ! Tant qu’il ne pleut pas… Nous dégustons nos crabes au poivre de Kampot, une vraie merveille de simplicité et d’authenticité. Nous avons ensuite deux heures à tuer. Après réflexion, nous optons pour un bon massage tandis que les enfants jouent sur la plage. Détente divine. Je m’endors à moitié dans cette douce torpeur, repue et détendue. Le temps change, indéniablement. A Kampot, nous aurons une journée entière de pluie. Avec ce genre de météo, on se laisse aller, on déjeune un peu plus conséquemment et on se fait masser par des aveugles (leur nom : « seeing hands », les mains qui voient…). La pluie s’abat sans discontinuer, sans prévenir, sans pitié, des gouttes lourdes qui s’écrasent irrémédiablement, qui vous trempent jusqu’à l’os en un instant, tel un rideau obturant empêchant la lumière et l’espoir de passer.

Nous rentrons sur Phnom Penh, il est temps pour nous de quitter l’extrême amabilité des cambodgiens, leur simplicité jubilatoire. Cette longue escale nous a permis de découvrir un visage de l’Asie empreint de douceur de vivre, tout en prenant le temps de regarder, de parler, de goûter, de ressentir. Outre le fait que tout y est plus intense (la chaleur suffocante), plus lent (le temps qui passe avec sa lenteur comptée) et plus savoureux (les mets préparés avec finesse et les épices parfumées), l’image qui me restera longtemps du Cambodge, c’est le large sourire universel, lumineux et contagieux que tout cambodgien semble avoir appris dès son plus jeune âge. En écoutant Dara, notre chauffeur historien, je me dis qu’il faut être sacrément fort pour survivre avec cette philosophie. C’est comme une belle vengeance sur une histoire sordide et sanglante pas plus vieille de vingt ans, qui a mis tout un pays sur les genoux. Un carnage et pourtant le pardon possible.



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