Accueil DestinationsAsieLaos Carnet de voyage Laos (2ème partie): Soleil rouge

Carnet de voyage Laos (2ème partie): Soleil rouge

par Anne
Laos

(du 5 avril au 4 mai 2016)

Vang Vieng – errances à scooter

Nous prenons la route pour descendre de Luang Prabang à Vang Vieng. C’est un bled perdu au bord d’une rivière, la Nam Song. La destination a apparemment connu une période faste, lorsque les backpackers venaient faire la fête dans cet Eldorado qui offrait pas mal d’options quant au choix de la défonce. Suite à quelques accidents mortels, ça se calme après 2012, autant dire que nous arrivons dans une ville qui nous semble calme et endormie, d’autant plus qu’on est en basse saison. Mais ce n’est pas l’ambiance qui nous a attiré ici, plutôt le décor, car la ville s’étend sur une petite plaine recouverte de champs où paissent tranquillement de fines vaches blanches, puis au loin, d’impressionnantes falaises de karst découpé forment tout autour une petite muraille naturelle à la ligne sauvage. Ici encore, il y a beaucoup de brume, il y a la fumée des brûlis et la chaleur qui tape. Le patron de notre guesthouse semble désabusé. Ici aussi, on cherche la fraîcheur.

Fabrice est KO. Avec les enfants, nous essayons d’éviter la moiteur étouffante de l’orage qui tourne autour de la ville. Pour se mettre au frais, une seule solution, la piscine d’un hôtel un peu chic, la rivière peu invitante est de toute manière trop asséchée. Le corps plongé entier dans l’eau semble enfin arrêter de s’enflammer, comme s’il buvait goulûment par tous les pores de la peau. La vue de la terrasse de la piscine est magnifique, sublimée par les couleurs menaçantes du ciel orageux, mais rien ne vient, pas même une goutte de pluie ou un peu de vent. A nouveau, il faut attendre la fin de journée pour pouvoir échapper à cette fournaise.

A Vang Vieng, il faut errer à scooter pour découvrir ce décor absolument magnifique. Les grandes falaises sombres au relief gommé par la brume se dressent de toute leur masse. A leurs pieds, des champs, des rizières asséchées et jaunies, des villages poussiéreux, traversés par des routes cahotantes. Il faut assister à la sortie de l’école, des myriades d’enfants et d’adolescents en uniforme, chemise blanche impeccable, pantalon pour les garçons, jupe à motif brodé dans l’ourlet pour les filles, qui s’éparpillent en grappes le long de la route, certains à pied, certains à vélo. Il faut se perdre dans les chemins terreux, demander son chemin aux villageois qui nous répondent en riant des mots que l’on ne comprend pas, et nous dévisagent amusés et contents, mais de quoi ? Il faut se baigner dans les lagons frais, à l’ombre des falaises, où la végétation garde l’humidité et le vert de ses feuilles. Il faut tomber en panne pour apprécier l’entraide amicale du bistrotier qui, portable à l’oreille en ligne avec le loueur de bécane qui lui explique la panne à l’autre bout du fil, répare gentiment notre engin. Il faut pénétrer dans les trous de fraîcheur, les grottes qui émaillent la route, et jouer aux spéléos. Il faut rentrer à la nuit tombante pour voir les falaises disparaître dans la pénombre en ne laissant plus que leur ombre nous guider sur les derniers kilomètres.

Laos
Laos
Laos
Laos

Nous continuons notre route laotienne avec un court arrêt à Vientiane. La capitale n’a pas le charme de Luang Prabang, mais se laisse aller nonchalamment au bord du Mékong et n’est finalement pas si désagréable. Le Wat Sisaket aux milliers de bouddhas ceints dans de petites niches a un charme inouï. En revanche le Wat That Luang, immense stupa doré et massif nous semble sans âme. Nous lui préférons un petit tour au marché Khua Din, où sont vendus fruits et légumes, viandes poissons, nouilles, riz, crapauds, sauces puantes et épices, paniers à riz, ustensiles de cuisine, paniers et coupelles à offrandes… Et des milliers de trucs et bidules dignes du plus grand souk dans la partie plus moderne du marché, où le règne de la matière plastique n’est plus à démontrer.

Au bord du fleuve, nous tombons par hasard sur le festival Sandart situé sur une petite île, les sculptures de sable s’animent au crépuscule, et les stupas de sable ornées d’une multitude de petits fanions de couleur, certainement sculptées à Pi Maï, résistent encore un peu pour apporter la bonne fortune à ceux qui les ont bâties, alors que sur les rives du Mékong, des cours d’aérobic font vibrer le quai d’une musique techno dans une frénésie de sportifs gesticulants.

Tad Lo – Le cœur du Laos sur un plateau

Nous poursuivons notre descente le long du pays. Depuis Paksé, dans un bus vieillot, nous rejoignons Tad Lo, un petit village à coté de la rivière du même nom posé sur le plateau des Bolovens. Là encore, la chaleur est accablante en cette fin de période sèche qui n’en finit pas, tout est sec et jauni, ce qui est d’habitude une rizière derrière la guesthouse n’est qu’un terrain poussiéreux et sans vie. Les cascades alentour on perdu de leur superbe, le débit d’eau se réduisant à peau de chagrin. Malgré tout, le coin jouit d’une quiétude apaisante, et on se laisse aller au rythme paisible de la vie, cadencée par les repas à la guesthouse et les bains dans la rivière. Car pour profiter pleinement de cette lenteur délectable, il suffit de s’asseoir sur un banc devant le temple qui fait face à la rivière, au cœur du village, en fin de journée. On regarde alors la vie s’écouler au rythme de l’eau. Lessives, douches ou simple baignades, animaux qui s’ébrouent, éclaboussures joyeuses, enfants qui sautillent, jeux de course et de cache-cache, moines qui s’arrosent en ayant laissé leurs robes sur des rochers, taches de couleur orange en pointillé, fin de journée en soleil rouge. Plus haut à la cascade, les deux éléphantes Moon et Numchan prennent leur bain, paisibles pachydermes.

Notre halte revêt un caractère un peu particulier dans cette guesthouse tenue par M. Poh, sa femme Tim, leurs enfants Palamei, Pinkie et Big, ainsi que leurs trois enfants adoptifs. Il y a aussi la tante, la sœur, les enfants de la sœur, l’oncle, on s’y perd, on s’en fiche, c’est l’esprit de famille agrandie chaque soir autour de la table pour le Family dinner, sous la tutelle énergique de Bénédicte qui fait tourner la maison entre deux cours d’anglais prodigués aux enfants du coin. Notre voyage est ici immobile, et se contente de partager quelques instants familiaux et de discuter avec Bénédicte et M. Poh de la vie locale.

Avec M. Poh, nous visitons un village katu en compagnie de son ami, Mister Hook. Les Katu ont un mode de vie séculaire très particulier et des croyances animistes. Son village a quitté les montagnes et s’est installé dans la plaine pour cultiver le café. Mister Hook, véritable érudit, est incollable sur l’univers du café, mais il est aussi intarissable sur les plantes médicinales, les anti-diarrhéiques naturels, les plantes anti-pelliculaires ou la sève pour faire des bulles comme des bulles de savon. Nous sommes cependant un peu dérangés par la présentation qu’il fait de sa propre culture, où esprits, gourous et sacrifices tiennent le haut du pavé. Dans ce village d’une pauvreté frappante, les enfants qui ne sont pas scolarisés et parlent seulement leur dialecte errent entre les maisons rudimentaires en fumant un mélange de tabac et de sucre de canne dans de longues pipes. Ils nous dévisagent de leur regard mi-grave, mi-moqueur qui met mal à l’aise. Mister Hook nous dit qu’ici, les enfants sont mariés dès sept ans, et parfois les fillettes d’une douzaine d’années sont destinées en secondes noces, car oui, on est polygame ici, à des hommes de trente ans et plus. Difficile à concevoir lorsqu’on se promène avec sa fille de neuf ans. Les femmes partent accoucher dans les bosquets à la sortie du village. Celles qui meurent en couches sont d’abord enterrées à moitié avant d’être enterrés complètement. J’aurais bien voulu rester un peu plus et continuer la conversation avec Mister Hook. Nous touchons du doigt nos propres limites lorsque nous rencontrons des gens si différents dont les valeurs vont à l’encontre des nôtres. Vouloir découvrir d’autres modes de vie remettent forcément le nôtre en perspective, son bien-fondé, ce à quoi on adhère. Jusqu’où peut-on juste écouter sans réagir ? Quand doit-on intervenir et remettre en cause les principes des autres ? Ces questions me trottent dans la tête alors que nous redescendons vers la ville.

C’est au marché de Salawan que nous trouvons le cœur et l’âme du Laos. On vient vendre ici sa petite récolte, sa cueillette, son butin de chasse. Le marché à l’agitation vivante remplit ici encore la fonction de lien social entre villageois et habitants de la ville. C’est animé, joyeux, authentique et sincère. Indéniablement, nous sommes falang, des Français, des blancs, on nous dévisage avec une bienveillance teinté de surprise et de curiosité. Anatole fait tourner les têtes de ces dames. Elles sont hypnotisées par son air candide, sa peau claire, alors que nous nous zieutons mi-effarés, mi amusés les étals : après les habituels stands de fruits, de légumes et d’herbes fraîches parfumées embaumant l’air, viennent les crapauds, lézards, larves de fourmis, scarabées, serpents, écureuils, oiseaux, mulots, il semble bien que tout se mange ici !

C’est M. Poh encore qui nous emmène encore à Champassak, 7 villages, 7 pagodes, une rue principale, une bourgade qui s’étend le long du Mékong élargi. En route, bien sûr, nous parlons encore avec M. Poh, et nous nous arrêtons à l’impressionnante cascade de Tad Fan puis celle de Tad Champee, entourée de verdure, où nous nous baignons. Depuis qu’on a quitté le plateau, tout est plus vert autour, l’air est plus frais aussi.

A Champassak, on vient surtout pour le site archéologique du Wat Phou datant du XII siècle. Nous le visitons presque seuls, difficile de croire que ce lieu saint reculé soit en proie à la ferveur du pays lors de la fête annuelle du Wat Phou. Nous nous baladons mollement à vélo, le long de la rue principale aux jolies façades anciennes, le nez en l’air et les cheveux au vent.

Don Det et les 4000 îles. Le rythme lent du Mékong

Nous suivons toujours le Mékong vers le sud, en direction du Cambodge. Nous montons à nouveau dans un bus hors d’âge dont la clim fuit à grosses gouttes, les passagers de devant essaient de s’abriter tant bien que mal et doivent fuir les sièges trempés. Nous arrivons enfin au petit port d’où partent les bateaux pour Don Det, l’île que nous avons choisie pour passer ces derniers jours au Laos. Sur Don Det, pas de port, juste un débarcadère ensablé qui sert aussi de plage, des maisons sur pilotis un peu foutoir le long de la rive de chaque côté de l’île et un côté un peu paumé qui ne nous déplaît pas. Nous sommes sur ce qu’on appelle les 4000 îles, des petits bouts de terre plus ou moins grands simplement égrenés sur le Mékong dont le cours est ici large comme une plaine. Après tout cette sécheresse, il fait bon se poser au bord de l’eau, et bénéficier d’un semblant de fraîcheur.

Le Mékong respire et file en donnant l’élan de vie aux hommes et aux bêtes. Les villageois s’y baignent à la tombée du jour, les buffles s’y prélassent, leur peau noircissant au contact de l’eau. Des petits gars pêchent avec des nasses, plongent dans l’eau fraîche la tête la première. Les enfants de tous âges batifolent, libres et heureux. Chaque soir, le village s’ébroue comme un chien mouillé après la pluie.

Sur les bords du fleuve, la végétation a vraiment repris des couleurs et s’additionne au vert émeraude du Mékong. A l’intérieur des terres, les paysages pelés font penser à l’Afrique, la nature brûlée à vif. Nous arpentons Don Det et Don Khon à vélo, deux petits mondes au bout du monde reliés par un pont, le pont français, end of the road. On se tue les mollets sur les chemins défoncés, on tombe sur des cascades surprenantes et impressionnantes et des plages escarpées. L’indolence nous gagne jusqu’à en oublier la chaleur moite. On se laisse aller dans le glissement du bateau, au coucher du soleil, on se baigne sous la pluie d’orage, dans l’eau souillée du Mékong, tant pis, on n’a qu’une vie, c’est tellement bon, sentiment de plénitude. Et puis il y a cet après-midi où la vie s’arrête, enfin, la première pluie de la saison.

A Don Det, on apprécie tout particulièrement de ne plus se soucier des heures qui s’enfuient. On s’allège de minutes sans s’en rendre compte dans le calme du fleuve. Comme si cela n’avait pas d’importance. Sur le Mékong, le temps ralentit jusqu’à ne rien durer.



VOUS AVEZ AIMÉ ? PARTAGEZ !

D'autres articles sur le même thème

Un commentaire ou un avis ? C'est ici