Accueil DestinationsAsieChine Carnet de voyage Chine (2ème partie): l’Empire du Milieu, entre trash et grâce

Carnet de voyage Chine (2ème partie): l’Empire du Milieu, entre trash et grâce

par Anne
Chine

(du 26 mai au 13 juin 2016)

Shanghai – la reine de la light

Cela fait une heure au moins que le train roule dans Shanghai mais qu’il n’a pas encore atteint son terminus. Shanghai fait partie de ces mégalopoles ultra étendues qui m’effraient. L’agglomération compte 23 millions d’habitants, il faut bien les caser quelque part. Alors cette ville qui s’étend en mètres cube, aussi bien en largeur qu’en hauteur, se répand en une grande nappe de ciment. La pluie nous accueille, ajoutant du gris au gris. Car s’il est une couleur dominante ici encore, c’est le gris du béton, des immeubles, des rues et du ciel….

La ville m’apparaît fade. Oh bien sûr, elle recèle de petites pépites charmantes et inattendues. Comme le quartier de la concession française, la Yueyang road aux cafés cozy, ses allées de platanes protégeant les murs de belles maisons cossues, et puis Tianzifang, l’ancien quartier industriel. Avec ses nong tangs, de petites ruelles microscopiques à l’ancienne bien rénovées, il abrite des magasins de pacotille un peu arty, un peu branchés et de bonnes boulangeries françaises. On se sent bien loin de la Chine de propagande, celle que l’on peut découvrir dans ce petit musée vétuste, coincé dans un sous-sol d’immeuble, où les affiches de propagande côtoient d’innombrables copies du « petit livre rouge » de Mao. Il y a aussi les jardins calmes de Yuyuan qui datent du XVIème siècle, parfaitement ordonnés autour de pagodes et de pavillons ravissants, juste à côté du bazar grouillant de monde. Mais là où Shanghai fait mouche, le long de la rivière Huangpu, c’est le soir, quand la rive du bund s’anime, lorsque les touristes affluent, c’est alors la métamorphose d’une ville terne en reine de la night, reine de la light. C’est un feu d’artifice permanent, une déflagration de couleurs et d’écrans géants, c’est les Champs Elysées en version clinquant. A l’ouest, Puxi, le bund et ses façades art déco ou néoclassiques datant du début du XXème siècle, vestiges d’un passé colonial pétri de grandeur et de décadence. Et à l’est, c’est Pudong, ses gratte-ciels défiant la gravité, le Shanghai tower (630 m), le Shanghai World Financial Centre (492 m), dit le décapsuleur, et la Perle de l’Orient, (468 m) ainsi que tous les autres établissements hors du commun de ce nouveau quartier financier rivalisant les uns avec les autres par leur forme vertigineuse et leur éclairage au néon. De là-haut, la vue est belle, mais pourquoi avoir pavé le couloir du dernier étage de la tour SWFC en vitres transparentes ? Je crois tomber dans le vide à chaque pas pour aller m’écraser 600m plus bas dans les néons et les phares des voitures. Et entre les deux rives, dans l’obscurité du fleuve, on devine l’ombre des barges noires qui charrient leur chargement venu d’un autre temps au fil de l’eau, lentement.

Après cette halte brève, nous reprenons le bullet-train, direction Pékin. Encore une ville, mais changement d’époque, la Chine qui nous attend là-bas a plus de 2500 ans.

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Pékin au cœur secret et interdit

Le train fonce le long de plaines cultivées, de villes immenses, de bâtiments abandonnés, ou de buildings aux néons clignotants. On parcourt 1500 km à 300 km/heure, dans l’indifférence générale d’un train qui, au hasard des arrêts, ne désemplit pas.

Une fois n’est pas coutume, depuis la gare, nous traversons des quartiers modernes sans élégance ni grâce, six anneaux modernes et périphériques qui ceignent la vieille ville. Mais nous posons nos valises dans Dongcheng, un quartier de hutongs, ces ruelles étroites et basses qui nous murmurent le nombre de siècles passés. Elles tissent un immense labyrinthe dans lequel je ne retrouverai jamais ni mes marques ni mon chemin. Venelles et traboules, passages exigus, portes entrebâillées sur des cours bordéliques, vélos vétustes entassés sous un porche, compteurs antédiluviens, c’est un monde qui se cache derrière ces entrées, impénétrable et secret. On déambule parfois dans le calme à l’ombre des grands arbres ou dans le brouhaha de la foule pressée. Entre les allées et les passages, les maisons de briques grises surmontés de tuiles ondulantes, grises elles aussi, s’agrémentent de jolies portes d’entrée rouge rehaussées de portiques aux poutres peintes, nuages, oiseaux, volutes. La circulation en voiture est quasi impossible, on circule à bord de deux-roues électriques, de petits tuk-tuks ronronnant ou de vélos grinçants. Cela donne à tout le quartier une atmosphère médiévale, hors du temps, alors que nous nous trouvons en plein cœur de la ville. Les vieux assis qui observent, les jeunes qui mangent, les petites motos qui nous surprennent à coups de klaxon, les marchands de fruits et légumes, croulant sous les fruits de saison, cerises belles et rondes à croquer, les odeurs d’égoût, les cours dissimulées ne révélant rien de leurs confidences, les boutiques artisanales, les bric-à-brac, c’est le mystère d’un quartier tout entier qui s’ébroue dans la chaleur de l’été. Plus loin, comme les gardiennes de ce temps immémorial, la Tour de la cloche et la Tour du tambour face à face. Cette dernière attend que l’on veuille bien emprunter la montée vertigineuse de son escalier pour atteindre le premier étage, et assister à la démonstration de précision et de puissance des batteurs de percussion, leurs gestes lents égrenant d’un son grave la fin de la journée.

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Temples, palais et balades au fil du temps

Quand on quitte la quiétude des hutongs, on débarque sur de grandes avenues grouillantes et rectilignes. La plus grande des places de Pékin, la grande esplanade vide de Tienanmen, emblème de la révolution de 1989, est bordée de ces larges boulevards impressionnants et par des immeubles stricts et raides, représentatifs de l’architecture soviétique. C’est à ses pieds que se dresse la Cité interdite, sur laquelle pend, anachronique et démesuré, le portrait joufflu et dégarni de Mao Tsé Tung.

Grandeur démesurée de cette cité du XVème siècle, réservée à l’empereur et sa cour, formellement interdite au peuple et dont les noms poétiques m’enchantent : Porte de la Prouesse Divine, Pavillon de l’Harmonie Suprême, Pavillon de la Gloire Littéraire, Pavillon de la Pureté Céleste, Pavillon de la Longévité Tranquille… Le dernier empereur en parcourait les allées à vélo. Simplicité. Car l’ancien palais, comme on l’appelle communément, s’étend sur 72 hectares. Jardins, pavillons, pagodes, terrasses et allées composent un domaine bien vaste pour un seul homme. Murs rouges, toits bleus, et verts, finesse des ornements, cours intérieures, marbre sculpté de nuages et dragons oniriques et surréels, statues légères de hérons, tortues rondes, jardin impérial aux nobles arbres séculaires et nombreux musées, comme la salle des horloges, celle de la céramique qui se prêtent à la visite. Il ne faut pas hésiter à arpenter les allées latérales et à s’éloigner un peu de la foule. Car du monde, il y en a beaucoup, des chinois qui prennent le palais en photo et nos enfants aussi, rôdés maintenant.

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A la Cité Interdite, je préfère le Temple des Lamas. C’est un lieu plus petit mais tout aussi remarquable. Une enfilade de salles de prière nous met à l’ombre du soleil de plomb qui nous écrase dans une étrange atmosphère entre calme et effervescence. Un grand Bouddha de 18 m, la tête perdue dans les poutres du plafond d’une des salles nous observe. Des statues aux cheveux bleus guettent des hommes et des femmes en méditation murmurante. Dans les effluves d’encens qui se répandent dans l’air tournent les moulins à prière.

Tout près de là, après la belle et récemment rénovée Wudaoying hutong, bordée de restos et de boutiques tendance, le temple de Confucius, véritable havre de paix au cœur de la ville, au milieu des cyprès noueux et séculaires qui embaument l’air, s’ouvre sur des toits et murs de briques vernissées, et de longs couloirs frais le long des pavillons antiques. Confucius, de son ombre de pierre, veille encore sur ses pensées que l’on enseignait dans cette université impériale et qui ne cessent d’influencer encore la société chinoise.

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Mais le plus ravissant des temples, c’est le temple du ciel et sa magnifique Salle des prières pour la bonne moisson (encore un nom charmant !). On se balade dans un grand parc arboré où des joueurs de cartes tapent le carton et des danseurs de guinguette s’adonnent à leur passion. Puis on arrive à une plateforme où se dresse un pavillon de forme traditionnelle ronde, toit sans clou ni ciment. Il y règne une atmosphère très particulière, une grande sérénité et un vrai sentiment de paix. La beauté des couleurs vernissées d’un bleu profond, des motifs ouvragés, des volumes parfaits, l’harmonie qui en émane font oublier la horde de touristes qui se pressent sur l’esplanade. Recueillis, on déambule sur les dalles blanches, en prière.

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Côté marchés, on peut perdre des heures à arpenter le marché aux puces de Panjiayuan, immense bric à brac de perles, pierres, pompons, colliers de bois, noix centenaires pour se détendre, porcelaine, vases de chine, statues, bouddhas de bronze, bustes de Mao, tissus, soieries, kimonos, brocante, boites à chapeaux, pièces gravées, estampes chinoises, livres, meubles, pinceaux, papiers… Et mille exemplaires du petit livre rouge de Mao.

Et pour relever notre défi, nous allons fondre devant ces gros nounours noirs et blancs, les pandas géants, l’attraction majeure du zoo de Pékin, un jour de pluie, un jour gris.

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L’inégalable longévité de la muraille de Chine

Malgré la brume de chaleur, ou la pollution, ou les deux à la fois, à la sortie très chargée de Pékin, nous découvrons les montagnes qui bordent aussitôt la ville. Elles sont nombreuses, boisées, et rendent le paysage plus agréablement provincial et campagnard. La végétation dense teinte la vallée de vert et fonce le creux des montagnes. Les reliefs des sommets, gris clairs, se découpent sur le ciel à la verticale. Et la muraille imprime son ombre légère et dansante que l’on remarque à peine si on n’y prête pas attention. Après un peu de route, alors que l’on scrute le paysage, on devine bientôt une tour, de ci, de là, mais rien de laisse présager de la grandeur monumentale de ce mur légendaire et de l’effet qu’il procure, une fois que l’on se trouve dessus. Quand, après avoir monté une volée de marches, on se retrouve sur la crête des montagnes, face à cette extraordinaire construction qui court le long des cimes à perte de vue, comme un ruban léger, fluide et aérien porté par le vent.

Penser à la prouesse humaine que cet ouvrage représente, plus de 2000 ans d’existence ! L’empereur Qin Shi Huang, encore lui, en unifiant le pays, assure ses arrières et la défense de son nouveau royaume en reliant différents murs de défense existants, érigés de manière éparse. Plus tard, la dynastie Ming fortifie l’édifice, qui jusque là n’est composé que d’un simple mur de terre, avec moult dalles et briques pour le renforcer. On estime la longueur de la muraille entre 8000 et 10000 km, et si l’on ajoute les obstacles naturels qui jalonnent sa course, on atteint les 20000 km de ligne de défense. A Jinshanling, nous nous contentons de parcourir la muraille sur 10 km, aisément lorsque la muraille a été rénovée, dans une marche plus physique lorsqu’elle est en l’état, le long d’escaliers vertigineux et irréguliers aux parapets inexistants. On gravit presque à quatre pattes les escaliers en s’agrippant à la marche supérieure pour se donner de l’élan et se hisser à la prochaine. La vue, devant, derrière, avec la ligne claire du mur parsemé de tours de guet et de petits forts est à couper le souffle, s’il ne l’est déjà par l’ascension des escaliers.

La muraille aux créneaux fins couronne le paysage de sa pierre blonde, elle défie le temps et le sens de l’équilibre, et nous procure une grande joie en se laissant parcourir, historique et mythique.

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Nous quittons la Chine, cet enfant terrible de l’Asie, son côté un peu rustre, un peu adolescent, un peu fanfaron, terriblement intrigant. En elle s’est imprimée une forte dualité entre passé millénaire et modernité effrontée. La portée d’une culture séculaire qui ne connait toujours pas de fin n’est aucunement un frein à l’envie de mordre la vie à pleines dents que l’on ressent dans la société, même après une longue période historique sombre et des freins idéologiques certains. Paradoxale, elle garde un côté abrupt et austère dans un mode de vie clinquant, et affirme un penchant très net pour l’argent et un goût avéré pour le capitalisme.

Au diable les complexes ! La Chine contemporaine, entre bienveillance et désobligeance, rigidité et gamineries reste difficile à cerner pour les européens cartésiens que nous sommes. Elle se dessine en une panoplie d’ombres chinoises dont on devine les contours mais dont on ne peut sonder les desseins. Elle avance, très actuelle et tout à fait à l’aise dans son expansion indéniable et inéluctable. Elle oscille, tangue et penche en avant, loin d’être un pays figé dans son histoire millénaire.



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