Accueil DestinationsAsieCambodge Carnet de voyage Cambodge (1ère partie): la force vive

Carnet de voyage Cambodge (1ère partie): la force vive

par Anne
Cambodge

(du 4 au 26 mai 2016)

Le Cambodge, il y a à peine trente ans, se réveillait d’un terrible cauchemar. Au tout début des années 80, le pays réfutait un pouvoir qui décima tous les espoirs de ce petit pays. Durant cette période, de 1975 à 1979, il a vu sa population martyrisée, sa liberté piétinée, son avenir anéanti. Sous la direction de Pol Pot, les khmers rouges ont commis un génocide inhumain en tuant trois millions d’individus sur les sept millions que comptait alors le pays. L’époque fut violente, la terreur quotidienne, l’absence de liberté et d’individualité insupportable. Intellectuels, penseurs, érudits furent persécutés. Phnom Penh, la capitale, fut vidée de ses habitants. Des familles entières furent décimées. Des hommes, des femmes et des enfants massacrés.

Aujourd’hui, le Cambodge veut croire en un avenir. Côté justice, les derniers procès des leaders khmers rouges ont lieu, quand les accusés sont encore en vie et pas trop séniles. Les cambodgiens sont prêts à pardonner pour de bon pour passer à autre chose. Tout est à construire, tout reste à faire pour que le pays trouve la voie de la sérénité. Pour qu’on oublie un peu la  couleur « rouge », comme le communisme, comme le sang, quand on parle de « khmer ». Le peuple khmer y croit dur comme fer, ce peuple au sourire généreux, force vive d’un pays encore timide face à son histoire.

Kratie et le village de Soda

Le passage de la frontière entre le Laos et le Cambodge est long, bien long, assez éprouvant même, même si tout se passe sans trop d’encombre. On a juste cette sensation étrange et désagréable d’être pris en otage en confiant nos vies à des gens pas forcément très recommandables. Corruption et douanes font plutôt bon ménage malheureusement, mais nous n’en subissons pas trop les désagréments, ayant remis nos passeports à un passeur (ceci dit, ledit passeur se paie largement au passage pour le service rendu). La route encore une fois est longue et cramée, et depuis la frontière cambodgienne, en piteux état.

Au Cambodge, nous prenons vraiment notre temps, puisque nous retrouvons Anne-Lise, Yves et Amélie à Phnom Penh dans une semaine, rien ne sert de se presser. Notre rythme sera pour une fois vraiment lent, sans nous donner la sensation de courir. Déjà nous avons amorcé cette lenteur au Laos, dans les 4000 îles et la chaleur qui continue à nous assaillir nous conforte dans notre choix ! Nous arrivons à Kratie, alanguie et poussiéreuse. C’est une halte paisible qui nous offre quelques excursions en dehors de la ville. Nous allons voir les dauphins de L’irrawady au son de la prière, un matin. Cette espèce de dauphins d’eau douce est rare, il n’y en a qu’une quarantaine de spécimens dans le coin. Nous les approchons à bord d’un petit bateau à moteur pour les observer. Ils tournent autour de nous, calmes et tranquilles, on les entend respirer fort quand ils nagent près du bateau. Nous passons à Sambor hill voir un temple auquel on accède en grimpant 127 marches, un vrai parcours d’obstacles dans la chaleur abrutissante. Des statues de moines bordent l’escalier, procession immobile.

Et puis nous rencontrons Soda, conducteur de tuktuk. Il nous propose de nous emmener dans son village, Cola. A bord de son tuktuk, nous partons dans la campagne, une belle campagne. Sur le bord de la route, il y a ces maisons traditionnelles toutes en longueur, en bois, montées sur pilotis comme sur des échasses, elles sont belles. Nous traversons le village musulman, avec sa petite mosquée, la communauté ne se mélange pas, nous dit Soda. Nous passons des rizières asséchées, doublons des vaches en troupeaux, des enfants en grappes, des maisons en bois blanchies par le soleil impitoyable.

Soda a juste envie de nous faire découvrir son pays. Ça se sent. C’est génial. Il nous présente un homme de son village qui recueille le jus de palme en grimpant aux arbres, agile. Il récupère la sève féconde des feuilles. Nous en buvons un verre, c’est doux et un peu écœurant. Il nous fait aussi goûter du sucre de palme. Nous allons ensuite voir dans une maison comment on fabrique les nouilles de riz. Procédé ancestral, les hommes au fourneau, les femmes au façonnage final et à la pesée. Intriguées par notre visite, celles-ci continuent de travailler tout en nous observant du coin de l’oeil. Elles discutent entre elles et Soda nous traduit leurs questions : Quel âge avons-nous ? Combien d’enfants ?

Puis nous visitons le village de maison en maison, de famille en famille. On rit beaucoup ! Tous les habitants viennent nous voir pour admirer notre peau blanche et nos longs nez. C’est ça qui leur plait chez nous, peau claire et nez pointu ! Et c‘est tout le village qui arrive ! On est l’attraction du jour, toutes les générations viennent nous palper, nous zieuter. Les gens sont ouvertement curieux, les rires fusent. Et les sourires. Oh, tous les sourires !

Nous apprenons à prendre notre temps avec Soda, à nous installer sur le lit en bois situé sous la maison à l’ombre et au frais et à palabrer en ayant la vie devant soi. Nous sommes invités, alors ça ne se fait pas de se barrer en cinq minutes, nous devons discuter et attendre que l’on veuille bien nous congédier. C’est un apprentissage, une rupture dans notre tempo de gens soit disant civilisés, c’est déstabilisant et un peu flippant. On stresse quand quand on redoute de ne plus rien avoir à dire, plus de réponse à donner, plus de question à poser. Il nous faut oublier notre peur du vide, arrêter de vouloir meubler à tout prix. Parfois le silence s’installe, nos hôtes ont le regard ailleurs, on digère ce qui vient d’être dit. La conversation prend elle aussi tout son temps. Et puis ça repart. Du côté des enfants, Anatole et Lucie sont totalement désarçonnés, on leur demande de se laisser faire et d’attendre, d’accepter ce tempo fait de pauses et de silences. C’est compliqué pour nous, encore plus pour eux ! Et puis on les palpe, on les ausculte, comment dire « non » à ceux qui veulent leur pincer les joues ou la peau du bras, juste « pour voir » ? Anatole se fait littéralement happé jusqu’au moment où il n’en peut plus. Il refuse catégoriquement qu’on l’approche ! Malgré cela, c’est extraordinaire, ce temps qui est là, qui existe pour lui-même, c’est encore plus fabuleux d’en prendre conscience. Au moment de partir, il faut faire le respect, comme dit Soda. Dire au revoir en prenant le temps de l’annoncer, de saluer, les mains jointes. Nous repartons ivres de sourires joyeux et de regards amusés, heureux, le cœur en fête, repus d’un vrai moment de partage. Et pourtant, tant de questions non posées, tant de non-dits entre nos mondes…

Battambang – En route, Belle troupe !

Nous quittons Kratie pour rejoindre Phnom Penh. C’est le moment de retrouver Anne-Lise, Yves et Amélie, en provenance directe de France. Les retrouvailles sont aussi joyeuses que l’attente fut longue ! C’est qu’on en parle depuis un petit bout de temps de cette aventure familiale qui nous attend ! Nos jeunes voyageurs novices vont-ils s’accommoder de notre mode de voyage ? Allons-nous maintenir notre routine de baroude ? Vont-ils vouloir un voyage différent du nôtre ? Quelles sont leurs attentes ? Leurs envies ? Les questions qui se posent trouvent tout naturellement leurs réponses durant cette quinzaine de jours partagée et nos pas s’accordent vite à nos cadences conjuguées.

Nous quittons assez vite la capitale au passé meurtri, non sans avoir arpenté le marché russe et tenté de visiter le palais royal, ensemble de bâtiments à vocation royale, ainsi que la belle pagode d’argent qui doit son nom à un sol pavé de métal. Nous nous promenons un peu le long du Mékong et des artères chargées, plus captivés par nos conversations que par le paysage de béton. Au bouillonnement anarchique de la grande ville, nous préférons le calme provincial de Battambang.
Deuxième ville du pays, c’est une ville assez petite et typique qui nous permet une bonne période d’acclimatation avec nos nouveaux compagnons de route. La basse saison bat son plein, ce qui explique surement la mollesse du petit centre ville plutôt sympathique, à laquelle s’ajoute encore et toujours cette chaleur moite qui vous rentre dans la peau.

Le petit marché sous la halle propose fruits, légumes, viandes et poissons, Amélie et Anne-Lise sont assez rapidement brassées, j’oublie vite les petits désagréments auxquels nous sommes maintenant habitués, comme ces odeurs prégnantes de marché, l’acclimatation doit se faire en douceur, il faut ménager la troupe ! Je me dis aussi que je suis devenue moins sensible et je ne sais pas si c’est une bonne chose… Il y a aussi pas mal d’artisans, les bijoutiers, les ferronniers et les couturières, c’est plus soft. En fin de journée, il y a toujours ce petit coup de chaud qui annonce l’orage et la pluie qui tombe, bienfaitrice. Sur le bord de la rivière Sangkor, on peut voir de belles façades datant de la période coloniale, et quelques temples sur l’autre rive de l’autre côté de la ville. Le soir, des moines semblent défiler sur le pont pour rejoindre leurs pénates.

Nous partons visiter le Phrom Sampen à scooter. La route est moche, large avec trop de circulation, trop de camions qui nous doublent. On accède au sanctuaire en prenant un 4X4 qui nous fait grimper la route, en scooter, c’est carrément dangereux tant la pente est abrupte. Le temple en soi n’a rien d’extraordinaire hormis qu’il servit de prison durant la période de terreur des khmers et que la grotte a côté servait de charnier. Macabre visite, squelettes et crânes sont conservés pour mémoire à coté d’un bouddha qui a repris ses fonctions, allongé, comme veillant sur les ossements des innombrables victimes. De ce temps-là où la population vivait de rien et mangeait tout ce qui pouvait être comestible pour ne pas crever de faim, restent des spécialités culinaires qu’une vendeuse propose à la sortie du temple. Huileuses et pimentées, les carapaces des criquets et sauterelles grillées craquent sous la dent. Pas franchement bon mais pas franchement mauvais non plus… Encore heureux, la vendeuse n’avait pas d’araignées à nous faire goûter !

Nous reprenons la route à la recherche du bamboo train, que nous n’atteindrons pas mais quelle belle route, celle qui longe le fleuve, entre verdure et villages ! En roulant à petite allure, on a le temps de voir la vie qui va le long de la chaussée. On s’enfonce dans la vie de village, avec les éternelles gargotes, les bars, les échoppes qui vendent de tout, la végétation est plus dense par ici, parfois un petit pont se jette pardessus le ruban aquatique pour rejoindre l’autre rive. Nous nous arrêtons pour demander notre chemin, aussitôt, les gens s’arrêtent et viennent nous voir, souriants et curieux, on nous indique vaguement une direction, mais personne ne semble connaitre ce mystérieux bamboo train. Nous abdiquons, le vent se lève et l’orage pointe le bout de ses nuages noirs… Nous préférons rentrer au sec avant de nous prendre une rincée.

A scooter, on a la sensation de regarder passer un film, une vieille bobine retrouvée au fond d’un tiroir, les images défilent, sans le son, tranches de vie, gens attablés, mariages avec orchestre et sono à fond, satin synthétique, froufrou et moiré de rose, chanteuses de bal en mini-jupes, portrait des mariés, cadre doré, peau blanchie, costumes neufs, coiffures laquées et maquillage de rigueur. Les embouteillages fluides, les gens toujours gentils, toujours serviables, un sourire qui jamais ne s’efface, un vrai sourire plein de vie. Au crépuscule les lumières électriques laissent entrapercevoir une autre vie intime, celle qui se passe à l’intérieur des murs, dans les maisons de planche où on regarde la télé, on se rafraîchit, on mange, et dans les temples, les moines irradient dans leur robe safran sous la lumière blanche.



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