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Carnet de voyage Japon (2ème partie)

par Anne
Japon

(du 15 mars au 4 avril 2016)

Il nous faut à peine deux heures et demie pour parcourir les 500 kilomètres qui séparent Tokyo de Kyoto à bord du Shinkansen, ce train-fusée encore plus rapide que notre bon vieux TGV et qui se prend aussi simplement qu’un métro. On aurait aimé voir la vitesse s’afficher pour en connaître les pointes réalisées le long du parcours… Le quartier de la gare de Kyoto et la gare elle-même, grande et futuriste, ne laissent pas présager du choc qui nous attend ici. Pour l’instant, tout y est surtout très moderne. Même à notre auberge, le robot-geisha Alexa nous accueille à l’entrée. Cet excès de modernité nous paraît insolite, mais bien vite, nous retrouvons nos tatamis et nos futons dans notre belle chambre japonaise. Nous avons même l’occasion de nous initier à l’art de la calligraphie avec un petit professeur sérieux et appliqué. Nous commençons tout juste à voyager dans le temps, Kyoto se fiche du temps qui passe, elle assemble dans le quadrillage de ses rues toutes les époques, retraçant ainsi son histoire au hasard des promenades de ses invités.

Geishas, samouraïs et bouddhas – le monde onirique de Kyoto

Kyoto nous attend, Kyoto trépigne à nous offrir ses trésors ! La ville apparaît comme tout droit sorti de la tête d’un esthète touche-à-tout semant à tout vent une beauté pétrie de raffinement, de mystère et de fantaisie. Il faut dire que le Japon possède cette faculté inouïe, fascinante et inégalée par laquelle n’importe quel décor, n’importe quelle activité, n’importe quel moment d’une journée revêt une exquise délicatesse que l’on savoure, encore et encore.

Nous déambulons avec bonheur dans les vieux quartiers, Gion et Higashyama, dédales de rues aux façades de bois traditionnelles, le long des rues Sannenzaka et Ninenzaka bordées de charmantes échoppes à deux étages, en suivant l’allée Ishibe Koji, pavée, étroite, avec ses superbes maisons de thé. Le quartier des geishas nous offre la vision surréaliste de ces femmes d’une autre époque, portant des étoffes coûteuses et au visage lourdement fardé. A la nuit tombée, sous la pluie, Gion ressemble à s’y méprendre à un décor de film d’époque, avec ses rues plongées dans le noir, vernies de pluie, l’air mystérieux des façades des maisons de thé faiblement éclairées par des lanternes rouges et blanches aux portes à peine entrouvertes, fenêtres dissimulées par des claire-voies discrètes, il y règne un ravissant goût d’interdit qui préserve le secret de ces femmes artistes.

Nous plongeons dans l’univers des Shogun et des Samourais grâce à l’imposant Nijo Castle, un très bel ensemble architectural de 1606, dont le parquet « Rossignol », ultime fourberie japonaise, grince au moindre pas, ne laissant aucune chance au plus habile des espions. Les peintures murales de l’école de Kano, représentant tigres, arbres, oiseaux et bien sur cerisiers en fleurs stylisés sont ravissantes et font oublier l’extrême simplicité apparente de ce château en bois. Une énième preuve si il en fallait que dans l’esthétisme nippon, on retrouve partout ce même souci du détail tout en retenue, ce faux dépouillement désinvolte, ce dénuement millimétré.

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Nous courons parmi les merveilles de Kyoto, leurs magies. Et parmi celles-ci, nous ne comptons pas les innombrables temples et sanctuaires qui ponctuent les quartiers. Les temples bouddhiques aux ornements rouge et or succèdent aux sanctuaires shintoïstes et parfois même se côtoient en parfaite harmonie. En toute fin de journée, une très belle lumière de fin d’après-midi embrase l’or du temple Kinkoku Ji, posé sur l’eau. L’irréelle irisation du pavillon d’or est sensée refléter la beauté du monde de Bouddha sur terre. De quoi devenir bouddhiste ! Tout à l’est de la ville, le temple magnifique de Kyomizu Dera, vieux de plus de 1000 ans, avec son bâtiment principal en bois monté sur des échasses, nous accueille dans toute sa superbe ancestrale. Pour nous, visiter ces lieux, c’est aussi l’occasion de découvrir les cultes religieux nippons. Ici, on peut être bouddhiste ou shintoïste ou les deux à la fois, et les démonstrations rituelles semblent relever plus de la superstition enfantine que d’une véritable foi. C’est une croyance un peu naïve en des dieux multiples, des esprits, des démons… Pour entrer dans un lieu sacré, on se lave les mains et on se rince la bouche à l’eau au dessus d’un bassin à l’aide d’une louche en bambou, puis on s’incline devant la statue de la divinité, on jette une pièce dans l’urne placée devant soi, on sonne une cloche ou un grelot ou un gong, on frappe deux fois dans les mains, et on s’incline à nouveau. Et puis on tire au sort des vœux de bonne fortune, on achète quantité d’amulettes et porte-bonheurs, on prie en tournant autour du temple, en caressant une pierre ou une statue, en faisant pivoter sur eux-mêmes des moulins à prière. Le recueillement n’est jamais silencieux. Malgré tous ces témoignages de foi puérile et candide, la plupart de ces lieux appellent par leur force tranquille à la méditation et à la contemplation.

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Parmi ces sanctuaires extraordinaires, celui de Fushimi Inari, au pied du mont Inari, au sud de la ville fait partie de ces endroits absolument singuliers, d’une beauté saisissante. On y pénètre par un sanctuaire des plus classiques, qui s’ouvre sur un chemin ascendant bordé de toris, ces grands portiques élancés, deux piliers surmontés d’un toit convexe. Plus de 5000 toris vermillon, des grands, des petits, des moyens et même des miniatures. On peut même en acheter, les prix sont affichés, en fait chacun d’eux est sponsorisé ! Ils se suivent en une enfilade spectaculaire et mystique de portiques. Tous sont peints du même vermillon, mais sous l’effet des éléments, ils prennent des nuances dégradées, autant de rouge-orangés poudrés, effacés, délavés. Extrêmement élégante, la sente ainsi bordée remonte sur le mont en courbes lentes et inclinaisons douces. On déambule sur les pavés, les portiques nous montrent le chemin qui peut-être mène en nous-mêmes. Dans notre propre sanctuaire.

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Les achats revêtent à Kyoto encore plus qu’ailleurs un raffinement hors du commun. Les magasins de papiers, d’antiquités, de céramiques anciennes, de théières en fonte et de mélanges savants de thé, d’articles de calligraphie, de couteaux, d’objets en bambou sont tous, chacun à leur manière. des œuvres d’art. Y pénétrer revient à entrer dans un univers qui pourrait se suffire à lui-même. Le Nishiki market, longue allée couverte et remplie d’échoppes proposant des brochettes, des boulettes, des beignets aux crevettes, aux légumes ou au porc, des légumes macérés, des pousses de bambou, des poissons séchés, des poulpes vernis farcis à l’œuf et autres délices surprenants… On se régale avec les yeux et les papilles. Souvent on n’a pas la moindre idée de ce que c’est, et se fier à l’odeur serait une erreur tant parfois le nez est agressé par des effluves virulentes. Et à tout cela s’ajoute le plaisir des sens, encore une fois décuplé. Au marché aux puces, je reste à fouiller trois bons quarts d’heure dans des piles de vieux kimonos, ravie, les yeux attirés par mille couleurs, la main caressant les étoffes, le cœur en émoi, lequel choisir ?

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Kyoto sent bon l’ancien temps, le thé matcha et le parfum des geishas. On se situe dans un monde parallèle, tout en finesse, fait de mille histoires qui ont brodé le passé de l’archipel. Et les jardins et espaces naturels ne sont pas en reste, comme à Arashyama, où nous furetons le nez en l’air dans la Bambouseraie. Nous déambulons dans un air faussement printanier le long de la promenade de la philosophie alors que les fleurs de cerisiers sont sur le point d’éclater. On guette toujours le printemps…

Tic-tac Japon

Notre temps est compté pour la dernière semaine que nous passons au Japon. Les étapes s’enchaînent les unes après les autres dans un rythme effréné ne nous laissant qu’effleurer toute la beauté des lieux que nous traversons, comme un avant-goût d’un voyage ultérieur où nous aurions toute une vie et même plus pour découvrir, décrypter et comprendre le fascinant passé de ces lieux.

Nous quittons Kyoto et ses histoires contées pour nous plonger dans le monde rural de l’archipel. Nous filons en voiture de location sur l’île de Shikoku découvrir l’Iya valley. La nature est encore bien morne et grise dans cette partie de l’archipel, mais ça et là, des tâches de couleur, pruniers mauves, cerisiers roses, nous surprennent, accrochés à flan de relief. Nous longeons la vallée encaissée de Yoshino. C’est ici que nous avons décidé de nous offrir une séance de rafting en famille, les rapides sont encore gentils en cette saison, et nous nous prenons au jeu. Dans la grisaille de la gorge, tout à coup à Oboke, nous nous laissons surprendre par une vision des plus féeriques. Nous nous arrêtons pour admirer des centaines de koinobori, de gros poissons en tissu léger gonflés par le vent, accrochés à des câbles, qui volent au dessus de la gorge pour célébrer Kodomonochi, le jour des enfants. Au dessus de l’eau tumultueuse, le lent souffle du vent pousse le banc de poissons coloré à contre-courant.

A l’ouest de Shikoku, nous découvrons le château de Matsuyama, impressionnant d’austérité avec son toit de tuiles et ses murailles en bois, et ses allées fleuries de cerisiers qui commencent franchement à se réveiller. On guette encore le printemps…

C’est dans cette ville que nous nous délectons d’un bain traditionnel au Dogo Onsen, un bâtiment hors du temps, pour une très dépaysante toilette à la japonaise. Vêtus de nos yukatas, nous voici évoluant dans un monde pétri de traditions, entre le bain des esprits et le bain des dieux. Les corps nus déambulent, hommes et femmes séparés. D’abord se laver, assis sur de petits tabourets de bois, dos courbés sous le jet de douche, il faut se décrasser au savonet se rincer longuement. Puis entrer dans le bain commun, chaud à la limite du supportable. Serviette fraîche sur la tête, délassement du corps, libération de l’âme, vagabondage, les yeux ailleurs ou fermés sur un calme intérieur. On revient à la vraie vie dans le paisible salon de thé, en dégustant un thé doux comme un sirop et en croquant un gâteau de riz.

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Puis nous sautons dans un ferry pour rejoindre le sanctuaire de Itsukushima sur l’île de Miyajima entre Honshu et Shikoku, lieu ceint d’une grande sérénité. Le Principal tori du sanctuaire atteint la  taille impressionnante de 16 mètres de haut et la circonférence des piliers mesure environ 10 mètres. Son reflet parfait joue dans les vagues lorsqu’ïl flotte au dessus de l’eau à marée haute. A marée basse, il semble s’enfoncer sous son propre poids dans le sable gris. La pluie qui nous accompagne et la brume dont il se drape le rendent encore plus mystérieux.

Un peu plus loin, au pied du mont Misen, on tourne des moulins à prière en grimpant une volée de marches pour atteindre le Daisho inn avec vue sur la mer. On visite les temples qui constituent l’ensemble religieux au son monocorde de la prière. Martelée par un tambour grave, elle résonne et donne une profondeur lancinante à notre visite. On déambule entre les bouddhas couchés, les innombrables statuettes de divinités, amulettes et plaques votives. La pluie éclate en grosses gouttes, comme dans le dessin animé Totoro, le même bruit sec et claquant.

Nous revenons sur l’île principale, direction Hiroshima. Comme pour alléger notre visite de cette ville martyre, les cerisiers semblent encore plus couverts de fleurs ici. Pourtant le Dôme avec sa funeste silhouette a de quoi glacer le sang, seul vestige de ce 6 août 1945 où la première bombe atomique, Little Boy, fut lancée, explosant à 600 m du sol et détruisant à peu près tout dans un rayon de 2 kilomètres. Comme un mini soleil qui explose, lumière et chaleur (4000 degrés), boule de feu, fumée en forme de champignon, pluie noire, et mort.

Le mémorial de la paix pourrait s’appeler le musée de l’horreur, sans aucun doute, mais aller à Hiroshima sans y pénétrer aurait été une grave erreur. Nous avons préparé les enfants, nous évitons les reconstitutions à base de mannequins de cire et les photos insoutenables pour qu’ils retiennent un peu de l’histoire qui a frappé ici et tué entre 140 et 200 000 personnes. Matière torturée, terribles photos, objets touchants de tous ces gens disparus, leurs effets personnels, lunettes, lunchbox, uniforme, sac ou cahier d’écolier, autant d’objets qui matérialisent la disparition de ces vies innocentes. Comme symbole fort des conséquences des ravages de la bombe atomique, rien de plus poignant que les grues de Sadako, morte  à 12 ans d’une leucémie provoquée par les radiations auxquelles elle fut exposée, et qui espérait lutter contre la maladie en pliant consciencieusement des petites grues en papier fin et multicolore pour conjurer le sort. 1000 grues pour lui sauver la vie, elle n’a jamais pu les finir.

Dans le parc adjacent au musée, d’autres symboles forts témoignent : le cénotaphe avec le registre des noms de toutes les victimes, la flamme que l’on éteindra lorsqu’il n’y aura plus d’arme nucléaire dans les mains des hommes, la cloche de la paix, le monument des enfants pour la paix, on y lit de belles choses contre le déni et l’oubli.

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Nous roulons encore, retour vers Kyoto, avec une halte coup de cœur à Kurashiki. Une halte absolument charmante qui nous enivre. Dire que ça ne devait être qu’un point de chute pour la nuit ! Le petit centre historique de la bourgade, Bikan, vieux de plus de 200 ans, lui a légué des ruelles étroites et pavées flanquées de maisons en bois aux façades délavées, le long d’un canal tranquille bordé, lui aussi, de cerisiers en fleurs. Nous flânons, bienheureux, et laissons passer devant les couples de mariés en grande tenue d’apparât. Dans ce décor sublime, rien ne nous semble décalé.

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De là, nous rejoignons Naoshima, petite île ou se trouve le Benesse art site, conçu par Tadao Ando, fief de l’art contemporain, entre nature, architecture et art. Des installations sont disséminées dans les pelouses et dans cet espace brut ou sont exposés de belles œuvres. Niki de Saint Phalle, Yayoi Kusama, Keith Haring, Jean Michel Basquiat, Andy Warhol, et Kan Yasuda qui essaie de percer ”The Secret of the Sky”. Un joli moment comme on les aime, lorsque le temps et l’époque n’a plus d’emprise.

Trop rapidement nous ferons une halte dans la montagne, à Hattoji, dans une magnifique ferme restaurée au cœur de la campagne japonaise, avec sa baignoire en fonte, et tout près de l’arbre de Totoro. Quand je vous disais qu’on avait retrouvé l’arbre sous lequel il s’endort dans le dessin animé…

Enfin, avant de rejoindre Kyoto, nous visitons Himeji Castle, escale époustouflante, sous l’éclatement des cerisiers qui se découpent sur fond de ciel plombé, comme en colère. Avec une histoire qui commence au XIV siècle, le château fait l’objet d’une phase de rénovation tous les 60 ans, et la dernière vient de s’achever. La blancheur éclatante du château irradie. Surélevé, il domine de hauts murs d’enceinte, des jardins, des allées, des douves, des lacs artificiels et des portes monumentales. Immense ensemble, nous arpentons un long couloir au dessus du mur d’enceinte, avec vue imprenable sur la mer de cerisiers. Nous avons guetté le printemps durant tout notre voyage, il choisit ce décor extraordinaire pour enfin se montrer dans toute sa splendeur. Soudain je me sens japonaise, happée par la beauté inconditionnelle de ces bouquets irisés. Poudrant de leurs pétales les allées et les pelouses, l’incroyable multitude des cerisiers en fleurs devient à part entière un incontournable de ce voyage.

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Notre voyage au Japon s’achève. Un voyage en tous points extraordinaire. Entre villes tentaculaires et campagne désuète, de l’époque des samouraï à celle de l’art contemporain de la Benesse House, du quartier de Bikan à Kurashiki à Hiroshima figée en 1945, de Tokyo la futuriste à Kyoto la nostalgique, nous sommes passés d’une époque à une autre, d’un univers à un autre. Pourtant, je suis bien consciente que je n’ai fait qu’égratigner la surface laquée d’une culture multiple et vieille comme le monde.

Dans ses multiples facettes, le Japon a l’art de constituer un véritable choc culturel qu’on approche finalement plus facilement que prévu. On se laisse aisément séduire malgré le flou artistique dans lequel on évolue en permanence. Et peut-être même ce flou contribue t-il à ce ravissement de tous les sens et de tous les instants. Le charme opère en petites touches raffinées et précises dans ce pays où finesse, élégance et grâce paraissent inhérentes à tout ce que l’on voit.

Et je me dis qu’en guettant le printemps, il se peut que, sans que l’on y prenne garde, s’imposent alors la Beauté, le goût de la Beauté, le sens de la Beauté.



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